Autour de l'immeuble Clarté # 1. Qui habitait Clarté ?
Autour de l'immeuble Clarté # 1. Qui habitait Clarté ?
Parallèlement, la "Fondation Le Corbusier" inaugure ce printemps à Paris une exposition mettant en lumière les maisons La Roche et Jeanneret, autres édifices emblématiques des mêmes architectes qui ont largement utilisé la photographie pour faire connaître leurs travaux. L’atelier Boissonnas constitue d’ailleurs un trait d’union entre ces deux manifestations, puisque l’on trouve en France les images du père, Fred, alors établi dans la capitale française (1926), et qu’à Genève, ce sont celles de son fils Paul que l’on découvre (1932-1933).
Ces vues nous donnent une idée sur la manière dont on a vécu dans ces bâtiments qui se voulaient porteurs d’"une nouvelle conception du logis". Pour "Clarté", les annuaires genevois nous donnent la liste des habitants année après année, depuis la fin du chantier. On constate que l’édifice a attiré dès son achèvement des médecins, des artisans, des fonctionnaires des organisations internationales, mais aussi de nombreuses personnalités issues des milieux de la communication (comme Félix Pommier, directeur de Radio Genève) et du monde culturel (telles les artistes Hélène Robert, Germaine de Siebenthal-Glitsch, Nathalie Lachenal ou les ensembliers Gustave-Adolphe Hufschmid et Else Hamann). L’immeuble a aussi abrité temporairement, entre 1932 et 1934, des proches de Le Corbusier: le couple Suarès, d'origine égyptienne, et leurs enfants; Carlo Suarès, peintre et écrivain (1892-1976), lequel l’année précédente a publié une biographie de Krishnamurti, et sa femme Nadine (1893-1990) venue à Genève préparer une thèse à l'Institut Jean-Jacques Rousseau. Robert, le frère de Pierre Jeanneret, a également pris un appartement ainsi que l’architecte Francis Quétant, chargé des plans d’exécution de l’immeuble.
Ce que ne disent pas les photographies anciennes ni les listes d’habitants est le contexte difficile dans lequel fut construit l’immeuble. Le chantier de Clarté est contemporain de l’une des périodes les plus troubles de l’histoire genevoise, faite de conflits politiques très violents dont la fusillade du 9 novembre 1932 (13 morts et de nombreux blessés) est restée dans les mémoires. Dès l'été 1930, Genève comme le reste de la Suisse va en effet subir les contrecoups de la grande dépression mondiale qui se traduit ici comme ailleurs par de nombreuses failles, un important chômage et une grave crise du logement.
Si l’on élargit la focale, de l’époque de construction à nos jours, on dispose de plusieurs témoignages sur ce qu’a pu être la vie à Clarté. La nièce de l’un des architectes, Jacqueline a vécu là pendant plusieurs décennies et a rapporté son expérience dans un entretien aujourd’hui conservé au Centre d’architecture de Montréal: "c’est Le Corbusier qui a aménagé tout l’appartement pour mon père et ma mère avec Pierre Jeanneret […]. C’étaient les premiers meubles qu’il avait déjà exposés dans le pavillon de l’Art Nouveau [à Paris] en 1928 […] Tout était étudié par eux depuis les cendriers jusqu’aux vases à fleurs, jusqu’aux tables […]". Plus tard, un autre proche de Le Corbusier, Maurice Besset, professeur à l’Université de Genève, a publié des réflexions sur "sa vie" dans la "maison de verre"; le regard du résident rencontre ici celui de l’historien de l’architecture. Un conflit de voisinage qui a eu les honneurs de la presse illustre à propos de son appartement l’opposition classique entre préservation du patrimoine et évolution des modes de vie. Plus récemment, l’architecte Wilfried Schmidt a publié une série de photographies montrant les habitants de Clarté dans leur logement qui atteste la grande diversité d’expression de l’habitat de chacun aujourd’hui encore.
Références:
- Clarté exposition à Genève, Bibliothèque de Genève, jusqu’au 14 septembre
- Les maisons La Roche et Jeanneret — Regards sur les intérieurs. Exposition à Paris, Maison La Roche, jusqu’au 25 mai
- Autres référence dans le guide de l’exposition de Genève, p. 66-67
Poster votre commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec