Eynard photographe (1840-1855)

Ursula Baume Cousam, Adjointe scientifique
Bibliothèque de Genève
Nicolas Schaetti, Conservateur
Bibliothèque de Genève

Jean-Gabriel Eynard (1775-1863), financier, philanthrope et grand amateur d’art, a constitué une immense fortune en Italie durant le Premier Empire [1]. Il retourne en Suisse en 1810, après son mariage avec la fille d’un banquier genevois, Anna Lullin (1793-1868). Sous la Restauration, il oriente ses activités vers les relations internationales. Il endosse notamment la fonction de secrétaire personnel de Charles Pictet-de Rochemont, diplomate attitré de la République genevoise et de la Confédération suisse ; il est présent, avec son épouse, aux Congrès de Paris, de Vienne (1814) et d’Aix-la-Chapelle (1818). Le couple se montre à l'aise dans ces milieux où les mondanités occupent une place centrale ; les Eynard-Lullin nouent des contacts avec l’aristocratie européenne et de hauts représentants politiques [2]. Par la suite, Jean-Gabriel Eynard se fait connaître en Europe par le soutien qu’il apporte à la cause de l'indépendance grecque ; il est notamment l’un des cofondateurs de la Banque Nationale de Grèce en 1842 [3].

Lorenzo Bartolini, Jean-Gabriel Eynard, vers 1810 (BGE 2017 045 od 2)
Lorenzo Bartolini, Jean-Gabriel Eynard, vers 1810 (BGE 2017 045 od 2)

Bref, quand la photographie surgit dans sa vie, Eynard a déjà accompli l’essentiel de sa carrière. C’est un homme qui vit avec son temps et se montre curieux de sciences et de techniques. Il s’intéresse à la chimie [4] comme à l’optique, et possède un télescope et une longue-vue dans sa propriété de Beaulieu [5]. Il acquiert son premier appareil de daguerréotypie à plus de soixante-quatre ans, probablement à la fin de l’hiver 1839-1840. « La politique m’ennuie tellement que je ne m’occupe plus que [de] daguerréotypes […] J’avoue franchement que je m’amuse comme un enfant […] En fin de compte cette découverte m’intéresse beaucoup et je m'amuse et c'est bien quelque chose dans le temps qui court », confesse-t-il en 1842 [6]. Sa curiosité ne tarit pas et il est toujours à l’affût des nouveautés. Il est le premier Suisse à réaliser des épreuves stéréoscopiques, dès septembre 1852 et il dépose un brevet en 1855, à quatre-vingt ans, qui a pour but de faciliter l’application des nouvelles techniques photographiques au collodion [7].

Jean-Gabriel Eynard appartient à cette classe fortunée à laquelle, dès l’origine, Daguerre destinait son procédé [8]. Parmi les rares photographes privés dont les travaux ont subsisté, on peut citer Joseph Philibert Girault de Prangey (1804-1892), auteur d’un ensemble considérable de vues de bâtiments et de paysages, dont 451 plaques ont été retrouvées [9], ou le baron Jean-Baptiste-Louis Gros (1793-1870), qui a laissé de très belles épreuves de l’Acropole d’Athènes et de son intérieur parisien. Adolphe Humbert de Molard [10] (1800-1874) pratique, lui aussi, le daguerréotype, avant de se consacrer à la technique du calotype. Ses images, comme celles d’Eynard, mettent en scène son entourage dans des situations de la vie quotidienne. Quant à Eugène Le Bœuf [11] (1792-1879), issu d’une famille fortunée qui fréquente les milieux parisiens de la peinture et de la musique, c’est l’opticien Charles Chevalier (1804-1859) qui l’initie au daguerréotype. Ces hommes du monde ont pour point commun une large culture artistique qu’ils mettent au service de la photographie. Leurs œuvres se différencient de celles des ateliers professionnels qui se multiplient à la même époque et dont la production est souvent plus ordinaire.

C’est vers 1855 qu’Eynard cesse de pratiquer la photographie [12], laissant derrière lui plusieurs centaines de daguerréotypes. 438 prises de vue ont été repérées à ce jour, auxquelles s’ajoutent une trentaine de pièces qui restent introuvables mais dont une trace écrite ou une reproduction attestent l’existence. Leur nombre a dû être beaucoup plus important car on sait qu’à certaines époques Eynard travaillait tous les matins et qu’il passait un temps considérable à s’occuper de photographie [13]. Un tel corpus n’a guère d’autre équivalent que le fonds de Girault de Prangey. Ce chiffre est toutefois modeste en comparaison des fonds d'ateliers professionnels tels que celui de Mayer et Pierson. Ces derniers ont accumulé déjà 11 350 négatifs ou clichés lorsqu’ils s’associent en janvier 1855 [14]. Cela n'empêche pas Eynard d'être le praticien le plus prolixe de la photographie naissante en Suisse.

La fortune critique de l’œuvre photographique de Jean-Gabriel Eynard

En 1839, lorsque la photographie s’invente, Jean-Gabriel Eynard est une personnalité de premier plan. Financier, mécène et diplomate, défenseur de la cause grecque, il est pleinement intégré à la vie mondaine, à Genève comme à Paris. Cette notoriété a sans doute facilité la reconnaissance publique dont il va jouir très tôt comme daguerréotypiste, même en France où les praticiens ne manquaient pourtant pas. En 1842, déjà, le voilà invité à se rendre à Neuilly, auprès du roi de France Louis-Philippe. Dans ses notes journalières [15], Eynard rapporte que sa « réputation de bon daguerréotypeur » est parvenue jusqu’au souverain français, précisant que « la reine, le roi et les princesses n’ont cessé de me parler de mes daguerréotypes ». Le 18 juin 1842, il fait cinq plaques de la famille princière. Louis-Philippe assiste aux opérations permettant de révéler les images. Il évoque le mystère qui entoure le nouveau procédé : « Allons voir faire la cuisine à Mr Eynard » [16].

Cela fait alors plus de deux ans qu’Eynard s’intéresse à la photographie. Les premières mentions de son activité en tant que daguerréotypiste remontent à la fin de l’hiver 1839-1840. Dans une lettre qu’il envoie de Rome à son frère Jacques, le 7 mars 1840, Eynard écrit : « Je m’occupe beaucoup ici de Daguerreotyp [sic], nous vous avons envoyé une vue & le portrait des petits ; maintenant je prends les monuments de Rome, mais c’est une Loterie & souvent on ne reussit [sic] pas, cependant j’espère vs apporter une 20ne de belles epreuves [sic] ; nous nous amuserons a [sic] Beaulieu de prendre des vues & comme tu es plus adroit & plus patient que moi, tu reussiras [sic] mieux » [17]. Dans les courriers suivants adressés à son frère, il mentionne d’autres daguerréotypes, ceux de plusieurs monuments romains qu’il lui a fait parvenir pour son ami Delessert. Son travail est très tôt connu à Genève. Il le présente au mois d’août 1840 à la Société pour l’avancement des Arts : « [La] Classe d’Industrie et de Commerce ne pouvait rester étrangère à la brillante découverte de M. Daguerre. Elle a eu sous les yeux un appareil très complet, construit par l’inventeur et appartenant à M. De la Rive, ainsi que des dessins faits à l’aide de cet appareil. Elle a également examiné des vues prises à Rome, par M. Eynard-Lullin ; quelques-unes avaient une teinte particulière » [18].

La reconnaissance de ses pairs

La reconnaissance dont Eynard a joui parmi les pionniers de la photographie atteste qu’il ne doit pas sa réputation qu’à ses qualités d’homme public. Antoine Claudet, un précurseur de la daguerréotypie, qui ouvre un studio au-dessus de l’Adelaide Gallery à Londres en 1841, cite Eynard à plusieurs reprises dans ses publications, notamment pour son savoir-faire technique. Il dit avoir été impressionné par son outillage et ses bouilloires à mercure [19]. Il décrit plus tard dans le journal La Lumière la méthode qu’Eynard a employée dès 1843 pour obtenir « toujours la température la plus favorable pour la fixation des vapeurs mercurielles [] ; c’est ce moyen de bouilloire que j’emploie avec succès depuis plusieurs années et que j’ai vu pour la première fois, en 1843, usité par M. Eynard de Genève » [20].

Noël Paymal Lerebours, opticien et fabricant de matériel de daguerréotypie à Paris, est un auteur précoce d’ouvrages sur la technique du daguerréotype. Il remarque la qualité des plaques de Jean-Gabriel Eynard, dont il fait l’éloge dans son traité de photographie en 1843 : « Parmi les épreuves les plus belles que nous ayons jamais vues, nous pouvons citer celles d’un amateur distingué, M. Eynard » [21]. Le jugement est d’autant plus remarquable qu’il émane d’un professionnel réputé : « Nous avons vu, il y a quelques jours, entre les mains de M. Eynard, le plus beau groupe sur grande plaque qui ait jamais été produit. Les frais du fond étaient faits par la nature, c’était des arbustes parmi lesquels plusieurs sapins ; l’un des personnages était entièrement vêtu de noir, et une dame avait un chapeau blanc. Eh bien, non seulement rien n’était brûlé ou solarisé, mais tout était venu à point » [22].

Eynard est nommé dans la liste des « fleurons de la couronne du Maître [Daguerre] » que Jean-Pierre Thierry dresse dans son traité de daguerréotypie publié chez Lerebours et Secrétan en 1847. Ce portraitiste de studio, actif d’abord à Lyon avant de travailler à Paris chez Mayer et Pierson au milieu des années 1850, place Eynard parmi les meilleurs spécialistes du daguerréotype « pour la perfection de ses épreuves » [23]. Eynard semble bel et bien jouir d’une double reconnaissance de la part de ses pairs pour les qualités esthétiques de ses plaques et pour son savoir-faire technique, qui lui permet de présenter ses innovations à la Société française de photographie en 1856 [24].

Purgatoire et redécouverte de l’œuvre d’Eynard

Si la réputation d’Eynard en tant que daguerréotypiste est bien établie de son vivant, notamment en France et à Genève, sa notoriété décline rapidement après sa mort. Avant que le photographe-collectionneur et historien de la photographie Michel Auer ne redécouvre les daguerréotypes d’Eynard en 1962, son activité de daguerréotypiste est rarement évoquée. Que ses plaques soient restées aux mains des différentes branches de sa descendance n’a pas facilité leur valorisation. A Genève, cependant, il n’est pas tout à fait oublié. Hélène Diodati-Le Fort présente au moins cinquante-six daguerréotypes de son bisaïeul Jean-Gabriel Eynard dans la section historique de l’Exposition nationale suisse de photographie organisée au Palais Électoral à Genève en 1923 [25]. Une photographie de Frank-Henri Jullien immortalise cet événement qui permit de voir bon nombre de ces plaques en partie protégées de la lumière par une toile tendue horizontalement entre les panneaux d’exposition [26].

Frank-Henri Jullien, Exposition nationale suisse de photographie (vue d’ensemble), 1923 (BGE VG N18x24 09409)
Frank-Henri Jullien, Exposition nationale suisse de photographie (vue d’ensemble), 1923 (BGE VG N18x24 09409)
Frank-Henri Jullien, Exposition nationale suisse de photographie (vue des daguerréotypes Eynard), 1923 (BGE VG N18x24 09409)
Frank-Henri Jullien, Exposition nationale suisse de photographie (vue des daguerréotypes Eynard), 1923 (BGE VG N18x24 09409)

Michel Auer raconte avoir découvert des daguerréotypes Eynard pour la première fois en 1962 chez le pasteur Béroud qui dirigeait alors le Centre social protestant, installé dans le domaine de Budé au Petit-Saconnex, à Genève [27]. Comme la production d’Eynard et la photographie locale ancienne n’intéressent alors presque personne, M. Auer parvient à réunir une collection importante, par achat ou par échange. En 1973, il publie, dans la Revue du Vieux-Genève [28], le premier article sur Jean-Gabriel Eynard depuis l’exposition nationale organisée cinquante ans plus tôt. Dans les années 1970, l’intérêt pour le médium photographique grandit à Genève comme ailleurs. En 1971 est créée la Fondation suisse pour la photographie et s’ouvre à Genève une galerie de photographie à l’initiative du photographe Gad Borel. En 1984, un Centre de la photographie est inauguré, dont Michel Auer est le premier président. En 1993, la Ville de Genève crée le Centre d’iconographie, dont l’une des missions est de conserver la photographie genevoise ancienne. Deux départements sont alors réunis sous un même toit, l'un relevant déjà de la Bibliothèque de Genève et l'autre du Musée d’art et d’histoire.

Les manifestations et publications sur l’histoire de la photographie se multiplient en Suisse. Le rôle pionnier d’Eynard y est reconnu. En 1974, la Fondation suisse pour la photographie organise une exposition de référence sur La photographie en Suisse de 1840 à nos jours, qui est montrée à Zurich, à Genève et à New York. Auer publie, avec l'archiviste d’Etat de Genève Catherine Santschi, le premier ouvrage jamais écrit sur l’œuvre photographique d’Eynard (Jean-Gabriel Eynard. Au temps du daguerréotype, Neuchâtel et Paris : Ides & Calendes, 1996). Peu après, le Centre d’iconographie, dirigé par Livio Fornara, fait restaurer ses collections de photographies d’Eynard qu’il présente à la Maison Tavel (Livio Fornara, Isabelle Anex et Michel Currat, Familles d'images : en visite chez Jean-Gabriel Eynard, Genève : Musées d'art et d'histoire, [2001]). Remarquons qu’Eynard n’a jamais suscité de véritable intérêt dans le monde académique. En 2000, Philippe Kaenel a publié la seule étude universitaire à lui avoir été consacrée à ce jour [29].

Dans les années 1970-1980, Michel Auer s’attache à faire connaître et reconnaître au plan international Eynard le photographe. Sous son impulsion, Helmut Gernsheim, renommé pour une Histoire de la Photographie qui fait référence depuis 1955 publie quatre reproductions de daguerréotypes d’Eynard dans l’édition révisée qu'il fait paraître en allemand en 1983 [30]. Il y présente Eynard comme un « daguerréotypiste amateur suisse » remarqué par Lerebours. En 1985, Michel et Michèle Auer font paraître un dictionnaire encyclopédique des photographes [31] dans lequel ils réservent une place à Jean-Gabriel Eynard, tout comme dans le catalogue de leur collection [32], édité à l’occasion d’une exposition au Musée d’Art et d’Histoire de Genève.

Pour augmenter la notoriété d’Eynard à l’international, Auer fait acquérir des daguerréotypes par des institutions renommées, telles que la George Eastman House à Rochester [33] ou le Musée de la photographie d’Anvers [34], et par des collectionneurs suisses et étrangers. C’est ainsi qu’on retrouve des daguerréotypes d’Eynard dans la collection W.+T. Bosshard [35], qui fait l’objet d’une exposition à la Fotostiftung de Winterthur en 2006-2007, ou dans celle du photoreporter allemand Robert Lebeck [36], que le Musée de l’Elysée a montrée à Lausanne en 1988. Les daguerréotypes d’Eynard n’ont en revanche qu’assez peu bénéficié de l’engouement récent du marché de l’art pour la photographie ancienne. Le nombre de daguerréotypes en circulation est relativement élevé et les transactions les plus importantes ont été réalisées directement entre propriétaires et institutions. La dernière a permis à la Ville de Genève d’acquérir 135 pièces des héritiers de descendants du photographe en 2013. Auparavant, en 1984, le J. Paul Getty Museum de Malibu avait acquis 86 plaques de la collection Auer. L’institution les a présentées au public en 1998 au cœur d’une exposition consacrée au daguerréotype, peu après l’inauguration du Getty Center de Los Angeles [37], consacrant la notoriété d’Eynard comme photographe.

Jean-Gabriel Eynard-Lullin, un mécène photographe

L’art et la culture imprègnent l’univers de Jean-Gabriel Eynard et forgent son regard. Sa vaste culture artistique influence sa pratique du daguerréotype. Grand collectionneur, il commence à acquérir tableaux et sculptures en Italie [38]. La qualité de ses choix, comme un portrait de l’école de Raphaël ou le très beau portrait d’un artiste par un peintre inconnu du 16e siècle [39], dénote un goût assuré. Avant lui, son père et son frère aîné avaient aussi investi dans le marché de l’art. La collection qu’ils ont constituée et qu’il poursuivra reflète l’attrait du patriciat genevois pour la peinture hollandaise et flamande [40].

Eynard collectionneur

Plus éclectique et plus curieux, Jean-Gabriel s’intéresse à la production contemporaine. Jean-Jacques Rigaud rapporte qu’il a pu voir au Palais Eynard à Genève environ septante œuvres acquises par le mécène genevois, et que d’autres se trouvent à Rolle, dans la maison de Beaulieu, et à Paris, où sont montrées notamment des œuvres de l’Ecole genevoise contemporaine. Membre de la société des Arts de Genève, Eynard soutient les artistes locaux en particulier par des achats réguliers et il enrichit régulièrement de ses dons le Musée Rath, créé en 1826. Il passe commande à de nombreux artistes genevois : Charles Guigon, Amélie Munier-Romilly, Firmin Massot, Wolfgang Adam Töpffer ou Pierre-Louis De la Rive... Il entretient une relation suivie avec plusieurs d’entre eux, comme Massot ou encore De la Rive. Il intervient discrètement dans le concours lancé pour la création d’un musée des beaux-arts à côté de son palais [41]. À l'extrême fin de sa vie, il finance la construction du palais de l’Athénée, édifié à côté de sa résidence genevoise. Ce bâtiment deviendra le siège de la Société des Arts. La série de bustes ornant ses façades célèbre l’histoire genevoise, de l’évêque Adhémar Fabri à Charles Pictet de Rochemont, l’oncle de sa femme [42].

Firmin Massot, Jean-Gabriel Eynard, vers 1800 (BGE 0549)
Firmin Massot, Jean-Gabriel Eynard, vers 1800 (BGE 0549)

Eynard se lie aussi à des artistes hors de Genève et leur commande des œuvres. Nicolas-Didier Boguet, qu’Eynard rencontre à Rome, peint pour lui deux paysages italiens. Le sculpteur florentin Lorenzo Bartolini, avec lequel il entre en contact dès 1808, à la cour d'Elisa Baciocchi, l’une des sœurs de Napoléon, sculpte pour lui une statue d’Anna Eynard en marbre blanc, ainsi qu’une nymphe de l’Arno destinée à orner leur maison de Beaulieu (voir DE 001 ; 2013 001 dag 080 et 2013 001 dag 095[43]. C’est aussi en Italie qu’Eynard passe commande à Horace Vernet, alors directeur de l’Académie de France à Rome, d’un double portrait de lui-même et de sa femme en 1831 [44]. On sait aussi qu’il a rencontré François Gérard, élève de Jacques-Louis David, lors d’un séjour parisien en 1824 [45]. Eynard affirme ainsi son goût pour le néo-classicisme, tel que l’a notamment défini la peinture de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), un penchant qui transparaît également dans les bâtiments qu’il se fait construire à son retour d’Italie. Peu avant de mourir, Anna Eynard accueille chez elle, au palais Eynard, le peintre Grégoire Soutzo et sa fille, issus d’une famille princière gréco-roumaine engagée dans la lutte pour l’indépendance de la Grèce. Soutzo, qui figure sur deux daguerréotypes pris par Jean-Gabriel Eynard dans les années 1850 (2013 001 dag 017 et 2013 001 dag 113), meurt peu après sa bienfaitrice [46].

Eynard est de manière manifeste un photographe cultivé, doté d’un large bagage artistique. En 1998, le catalogue du Musée Getty avait déjà mis en évidence l’influence de la peinture hollandaise, non seulement sur Eynard mais sur d’autres daguerréotypistes [47]. Le titre même de l’exposition, The Silver Canvas (La Toile d’argent), expression empruntée à Daguerre, faisait allusion à la peinture ancienne, soulignant le lien mimétique que le nouveau médium entretenait avec elle.

Les vues d’architecture et le rôle mimétique du portrait

Parmi toutes les commandes que le couple Eynard-Lullin a passées à des artistes, il est un genre qui se rapproche fortement de la production de daguerréotypes : ce sont les vues que Jean-Gabriel et Anna Eynard ont fait faire de leurs propriétés de Genève, de Beaulieu et de Paris [48]. La pratique n’a rien d’original, mais elle permet de mieux comprendre ce qu’Eynard espérait réaliser avec ses propres photographies. Deux séries non datées, celle faite par Alexandre Calame (1810-1864) vers 1833-1836 et probablement aussi celle d’Alphée de Regny (1799-1881) [49] sont antérieures à sa pratique de photographe. En 1855, une dernière série postérieure à la naissance du daguerréotype est l’œuvre d’un lithographe italien réfugié à Genève en 1850, Antonio Fontanesi (1818-1882).

À l’époque où il travaille pour Eynard à Genève et à Beaulieu, Calame est encore un très jeune artiste quasiment inconnu. Comme l’a remarqué René Loche, ses aquarelles se caractérisent par leur habileté technique. Certes non dénuées de charme, elles reproduisent « très fidèlement, avec une grande minutie, l'aménagement intérieur de ces deux demeures [de Genève et de Beaulieu], décrivent, dans le détail, la disposition du mobilier, des objets d'art et des tableaux » [50]. On retrouve une même valeur iconographique dans les vues d’Alphée de Regny, un proche de la famille et, par mariage, un lointain cousin d’Anna Eynard. Dictée par les usages de l’élite bourgeoise, la fonction de ces images, à l’instar des portraits et contrairement aux tableaux de collection, est d’abord sociale. Ainsi Calame doit-il refaire deux vues de Beaulieu que les Eynard ont l’intention de donner à la famille Delessert, qui s’empresse de lui commander une documentation analogue de leur domaine de Bougy [51]. Dans la continuité des vues, la photographie n’échappe pas à la pratique ancienne de l’échange d'images entre proches. Les reproductions de daguerréotypes ne sont pas rares dans l’œuvre d’Eynard et étaient certainement destinées à être offertes. Il a pu aussi réaliser plusieurs plaques d’un même thème dans le même but.

Alexandre Calame, Intérieur à Beaulieu (Musée d’art et d’histoire, CdAG 1963-0031)
Alexandre Calame, Intérieur à Beaulieu (Musée d’art et d’histoire, CdAG 1963-0031)

Même pour le portrait, qui sera au centre de sa pratique de photographe, Eynard souhaite une reproduction fidèle de la nature. Le jugement qu’il porte sur son portrait peint par Horace Vernet en 1831 est sans appel. Enchanté par celui de sa femme qu’il trouve charmant, Eynard reste insatisfait du sien. Le peintre veut le refaire, en tentant de rajeunir son sujet, mais le résultat est pire encore. Il n’arrive qu’à provoquer le mécontentement de son commanditaire (« ce n’est pas moi ! ») [52]. A Genève, le portrait « réaliste » s’inscrit dans une longue tradition qui remonte à la Réforme. Sur ce sujet, Eynard se montre conservateur et, s’il tolère une idéalisation de sa femme, comme l’atteste la statue qu’il fait faire d’elle par Bartolini, il n’en va pas de même du corps masculin et de sa propre image.

Photographie et lithographie à Genève

Le choix de la technique lithographique et du peintre Antonio Fontanesi pour réaliser les vues de Beaulieu peut paraître surprenant. La lithographie n’autorise pas la même précision que la taille-douce, utilisée par exemple par Lerebours pour ses Excursions daguerriennes. La manière du peintre émilien ne vise pas non plus au mimétisme comme le ferait un graveur de reproduction. Dans la tradition romantique, Fontanesi ne dédaigne pas les effets de lumières, n’hésitant pas à baigner ses sujets dans un clair-obscur atmosphérique. Eynard a peut-être voulu favoriser un artiste italien, comme lorsqu’il a fait réaliser, à Milan, des toiles peintes [54] pour son théâtre privé [53] par le décorateur de la Scala, Alessandro Sanquirico (1777-1849).


C’est sans doute le succès de l’album Intérieurs de Genève, sorti des presses de l’imprimerie Pilet & Cougnard en mai 1855, qui incite Eynard à réaliser une œuvre analogue pour Beaulieu en s’adressant aux mêmes artistes et artisans. En effet, cet album marque une étape importante dans l’histoire de la lithographie genevoise. Inventée à l’extrême fin du 18e siècle, la lithographie, contrairement à la photographie, ne pénètre que très lentement la société. Elle n’est adoptée à Genève que sur le tard, à partir de 1817 [55], et encore les artisans locaux sont-ils loin de satisfaire les artistes, qui font faire leurs épreuves à Paris. En 1855, la maison Pilet & Cougnard suscite l’espoir d’un changement : « Il y a longtemps que nos artistes regrettaient de ne pouvoir éditer leurs ouvrages dans le pays, avec la faculté de surveiller eux-mêmes tous les détails de l’opération. Encourager une industrie indigène est un devoir » [56].

La page de titre de l’album de Beaulieu par Fontanesi indique « dessiné d’après nature ». L’analyse de l’œuvre photographique d’Eynard permet de contredire cette affirmation car certaines vues reprennent directement des compositions de daguerréotypes ou combinent des parties de deux plaques différentes (2013 001 dag 101, DE 047, nc 04 ; DE 060) tandis que plusieurs autres s’en inspirent manifestement. Dans sa correspondance avec Jean-Gabriel Eynard, Fontanesi révèle sa façon de procéder. Il utilise à la fois les croquis qu’il a faits sur place et les plaques fournies par son commanditaire, qu’il utilise comme moyen de contrôle : « les croquis, que j'ai, et les daguerréotypes que Monsieur a suffisent amplement à mon affaire − ainsi par exemple, j'ai le croquis de la grande maison vu de raccourci, eh bien un daguerréotype de la même maison vue de face me sert parfaitement puisqu'il peut m'apprendre les exactes proportions de l'édifice et il peut me rappeler les plus petits détails que par hasard je pourrais avoir oubliés » [57].

 

Antonio Fontanesi, La volière de Beaulieu, 1855 (BGE rec est 0094 18)
Antonio Fontanesi, La volière de Beaulieu, 1855 (BGE rec est 0094 18)

Le modèle des Excursions daguerriennes de Lerebours et les productions de ses émules ont encouragé Eynard à fixer par l’estampe les sujets qu’il avait photographiés. L’expérience est l’occasion de développer une confrontation entre les deux médias, le dessin reproduit par la lithographie et la photographie, à la manière du Paragone de la Renaissance. Dès son annonce, le procédé de Daguerre suscite des critiques acerbes. La représentation photographique peut bien être parfaitement fidèle à la réalité, on ne saurait la comparer à la peinture, ne serait-ce qu’en raison de l’absence de couleur. Dans son Traité de photographie, Noël Paymal Lerebours s’en prend aux « détracteurs […] [qui] étrangers à la peinture et au dessin, ignorant la théorie des ombres, celle du clair-obscur et les lois de la perspective, ne pourront jamais comprendre qu’on puisse obtenir quelque effet sans le coloris. […] Cette classe d’adversaires est malheureusement plus nombreuse qu’on ne le pense, mais nous n’avons pas à faire leur éducation artistique » [58].

Toutefois, dans son introduction aux Excursions daguerriennes, Lerebours peut affirmer que « grâce à la précision soudaine du Daguerréotype, les lieux ne seront plus reproduits d’après un dessin toujours plus ou moins modifié par le goût ou l’imagination du peintre ». De fait, Eynard demande à Fontanesi de faire des retouches à ses lithographies et lui reproche  l’approximation de son rendu, trop éloigné de la réalité captée par ses daguerréotypes. « Vous comprenez, Monsieur, lui répond son dessinateur, je ne veux pas me proposer de reproduire tout bonnement le daguerréotype - je crois que l'art est fait pour quelque chose de plus » [59]. Comme pour son portrait par Vernet en 1831, Eynard aurait aimé que les portraits soient les plus fidèles possibles, une demande à laquelle Fontanesi ne peut accéder en raison même de la technique choisie : « Je persiste à croire que ce n'était pas possible en lithographie », lui écrit-il lorsque les pierres sont déjà prêtes pour l’impression et qu’Eynard souhaite encore des améliorations [60]. Le sous-titre des Intérieurs de Genève marque la conception romantique que Fontanesi a de son art. Il s’agit d’une « promenade pittoresque » dans la ville, alors en train de se transformer rapidement à la suite du démantèlement des fortifications. La nostalgie de la vie d’avant y a plus d’importance que la restitution objective de l’architecture ancienne.

Comme en témoigne sa pratique de collectionneur, Eynard n’assigne certainement pas à l’art qu’une vocation mimétique. Cette mission, en revanche, est celle qu’il souhaite voir remplie par les artistes auxquels il s’adresse pour un usage avant tout privé. On comprend dès lors l’importance que revêt la photographie à la fin de sa vie. Il est certes conscient qu’au même titre que la peinture de commande, elle exige un talent particulier. Eynard se prend parfois à jouer les grands maîtres : « Quand je fais une belle épreuve et que je vois ces groupes si bien dessinés, je crois être un Raphaël et je suis presque tenté de dire : “ C’est moi qui ai fait ça ? ” et je me crois un grand artiste. Vanité des vanités ! » [61]. Dans sa pratique de photographe, il ne se contente jamais de simplement reproduire la réalité ou d’en figer le souvenir. Ses compositions minutieusement étudiées, ses emprunts fréquents aux codes de la peinture, le soin qu’il apporte à l’éclairage, pour des raisons techniques mais aussi esthétiques, comme l’indique le choix des vêtements pour les jeux d’ombre et de lumière qu’ils engendrent, sont autant d’éléments qui signalent une forte volonté artistique.

Technique

Lorsqu’il commande un portrait, Jean-Gabriel Eynard attache une grande importance à la clarté de l’expression et à la précision de la représentation ; il refuse une trop forte idéalisation de la figure. De même qu’il demeure insatisfait du rendu trop approximatif des lithographies de Fontanesi, le papier salé, dont le vaporeux séduit les peintres de son temps [62], ne saurait lui convenir. Son palais de Genève a pourtant fait l’objet de plusieurs vues réalisées avec cette technique, mais aucune ne peut être attribuée à Eynard [63]. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été attiré par la précision offerte par le daguerréotype.

Encore fallait-il en maîtriser la technique et être attentif à son évolution rapide. Au cours des premières années qui suivent la divulgation du procédé, le médium progresse à un rythme soutenu : les appareils s’allègent considérablement, la qualité des objectifs s’améliore, le traitement des plaques accroît leur sensibilité et réduit donc les temps de pose. Eynard suit ce mouvement, y participe en apportant à l’occasion des perfectionnements pour son propre usage. Il suit les prescriptions des traités, procède à de nombreux essais, aussi bien en matière de choix et d’utilisation du matériel, appareils et plaques [64], qu’au niveau de la préparation et du traitement de ces dernières ou encore des techniques de prise de vue.

Appareils et appareillage

« J’ai honte de le dire, j’ai cinq machines avec tout leur attirail » [65], écrit Eynard en 1842, à propos des préparatifs d’un voyage qui doit le ramener de Paris à Beaulieu. On ignore comment et par qui Eynard a été formé à la technique du daguerréotype, et la provenance de son équipement. On peut penser qu’il se fournissait auprès des meilleurs opticiens, qui rivalisaient d’ingéniosité pour innover sans cesse. En novembre 1839, trois mois à peine après la divulgation du procédé, Pierre Armand Séguier présente un matériel de daguerréotypie plus compact et plus léger que la première boîte daguerrienne, qui pesait cinquante kilos. Les contacts qu’Eynard entretenait avec Lerebours font supposer qu’il a acquis un appareil à son atelier. Le format pleine plaque des vues de Rome laisse à penser qu’il a pu acheter une boîte originale de la marque de Daguerre ou d’un des opticiens parisiens qui en proposèrent très tôt. Il est vraisemblable également qu’il ait pu se fournir à Genève, qui comptait des fabricants de daguerréotypes, comme l’opticien Artaria ou le fabricant d’appareils scientifiques Louis Bonijol, avec lequel il était en relation [66]. Toutefois, on ne conserve qu’une seule pleine plaque d’Eynard qui remonte vraisemblablement aux années 1840-1841 (2013 001 dag 054), les vues de Rome ayant été perdues. La rareté des pleines plaques dans le corpus subsistant s’explique peut-être par le fait qu’Eynard ait adopté très tôt des formats plus réduits, plus maniables et d’un usage plus facile. On peut supposer par ailleurs qu’Eynard employait des objectifs interchangeables qu’il pouvait adapter sur ses appareils en fonction des formats qu’il utilisait. L’objectif achromatique à doubles lentilles inventé par Charles Chevalier en 1840 [67] était assurément de nature à faciliter la réussite des grands formats qu’Eynard appréciait.

On sait enfin qu’Eynard complète son équipement en achetant plusieurs appareils stéréoscopiques quelques années plus tard. Il est le premier en Suisse à réaliser des vues stéréoscopiques, dès septembre 1852, l’année même où l’opticien Louis Jules Dubosc (1817-1886) dépose le brevet de ce procédé [68]. L’atelier de Louis Jules Dubosc a réalisé un portrait stéréoscopique d’Anna et Jean-Gabriel Eynard (2013 001 dag 086) qui atteste que les deux hommes se sont rencontrés.

Jules Duboscq-Soleil, Jean-Gabriel Eynard et sa femme Anna Eynard née Lullin, vers 1852 (BGE 2013 001 dag 086)
Jules Duboscq-Soleil, Jean-Gabriel Eynard et sa femme Anna Eynard née Lullin, vers 1852 (BGE 2013 001 dag 086)

Eynard perfectionne également son matériel. Antoine Claudet, un élève de Daguerre de renommée internationale, décrit pour le journal La Lumière l’ingéniosité des bouilloires à mercure mises au point par le Genevois. Il a pu voir, lors d’une visite qu’il lui a rendue, « une sorte de cage en ardoise ; la pièce horizontale du bas a une rainure tout autour afin que le mercure se rende à l’un des coins et tombe dans un vase placé à l’ouverture » [69]. Cette quête de perfectionnements se poursuit jusqu’en 1856, lorsque Eynard présente son verse-collodion à la Société française de photographie (SFP) [70], une invention qui atteste les expériences qu’il mène sur la technique des verres au collodion. Cette même année, il dépose en France un brevet intitulé « Perfectionnement dans les appareils servant à la photographie », qui porte le numéro 28896. L’année suivante, la SFP accueille dans sa deuxième exposition annuelle [71] les instruments d’Eynard, au moment même où il met un terme à son activité de photographe.

Formation et assistants

En 1962, lorsqu’il découvre des daguerréotypes représentant Jean-Gabriel Eynard, Michel Auer se demande qui en est l’auteur : « Je tombe sur une image qui mentionne au dos « Daguerréotype fait par Mr. Eynard ». Mais qu’en est-il des nombreuses vues où Jean-Gabriel Eynard est lui-même représenté sur la plaque ? Ce mystère est résolu le jour où je trouve un daguerréotype portant au dos la mention « Jean Rion, domestique chez Monsieur Eynard et lui servant d’aide pour ses daguerréotypes » [72]. Le témoignage de Fontanesi nous apprend que Rion jouissait d’une certaine autonomie : « Je me souviens parfaitement que Monsieur Eynard voulut bien me dire de venir de nouveau à Beaulieu afin de faire faire à Jean des daguerréotypes à la place même où j’avais pris mes croquis… » [73].

L’intérêt qu’Eynard porte aux procédés techniques, ses relations avec le milieu de la photographie naissante, à commencer par Benjamin Delessert et Noël Paymal Lerebours [74], la culture artistique qui transparaît dans ses compositions et les quelques sources qui mentionnent son activité de photographe ne laissent aucun doute quant à sa qualité d’auteur des daguerréotypes qui lui sont attribués. Il s’est formé lui-même en lisant les traités, dont il suit les conseils, et en entrant en relation avec les meilleurs praticiens. On peut penser qu’il a ensuite initié Jean Rion, et peut-être d’autres de ses domestiques ; sans doute est-il aussi à l’origine de la vocation de certains photographes amateurs comme Simon Bertrand dont il a fait le portrait (2013 001 dag 030) et dont l’œuvre semble imiter la sienne [75].

Comme le fait remarquer Michel Auer, le fait qu’un photographe ait un assistant n’exclut pas qu’il soit l’auteur des photographies. Sans équivoque, le Getty Museum reconnaît à Eynard la qualité d’auteur de ses daguerréotypes et compare le rôle de Jean Rion à celui de l’assistant de Fox Talbot, Nicholaas Henneman [76]. Pas davantage que celui-ci, Rion ne saurait être élevé au statut de co-auteur. En revanche, on peut constater le respect certain d’Eynard à son égard. Si les domestiques sont fréquemment représentés dans son œuvre, Rion est le seul à bénéficier d’un portrait individuel, qui plus est réalisé sur une demi-plaque, format qu’il réservait presque exclusivement à ses autoportraits (84.XT.255.71[77]. En 1842 déjà, quand Eynard se rend auprès du roi Louis-Philippe pour faire des daguerréotypes, son domestique semble avoir une grande familiarité avec le medium. Il l’accompagne et l’assiste : « Jean a arrangé les appareils dans la voiture […]. J’ai ajusté avec Jean la chambre obscure, Anna s’est placée là où sera le roi […]. [Après la prise de vue] je suis entré avec Jean dans la chambre, on m’a donné de la lumière, j’ai mis la première plaque au mercure et j’ai eu la satisfaction de voir qu’elle avait très bien réussi » [78]. En une occasion si importante pour lui, où il décrit ses préparatifs minutieux pour prévenir tout problème, la présence de Rion à ses côtés montre l’étendue de la confiance qu’il place en lui. On peut donc conjecturer qu’il l’a accompagné dès le début de sa pratique de photographe et que son talent l’a servi dans toutes les étapes de fabrication d’un daguerréotype.

Jean-Gabriel Eynard, Jean Rion, vers 1850 (BGE 84.XT.255.71)
Jean-Gabriel Eynard, Jean Rion, vers 1850 (Getty 84.XT.255.71)

Choix, préparation et montage des plaques

Dans le chapitre de son traité qu’il consacre au polissage des plaques, Lerebours note : « Parmi les épreuves les plus belles que nous ayons jamais vues, nous pouvons citer celles d’un amateur distingué, M. Eynard, qui a entièrement proscrit l’huile de ses préparations » [79]. Une grande partie de la réussite d’un daguerréotype réside dans la maîtrise des procédés techniques. La préparation est une étape essentielle du processus et Eynard s’y applique avec le plus grand intérêt, au point de délaisser toute autre activité : « Je ne m’occupe plus que [de] daguerréotypes […]. Quand je relirai ces notes dans quelques années, je me moquerai de moi-même en me rappelant tout le temps que je perds à préparer des plaques et à faire continuellement de nouveaux essais.» [80]. De manière empirique, il s’efforce de rendre les plaques moins réfléchissantes, un défaut qui affectait leur lisibilité dans les mois qui suivirent la divulgation de l’invention : « Ce que je cherche, c’est d’éviter le miroitage et jusqu’à un certain point on peut réussir en iodant fortement la plaque et en la rendant violette au lieu de jaune d’or. » [81]. En augmentant le temps d’exposition aux vapeurs d’iode bien au-delà de ce qui est habituellement préconisé pour préparer les plaques, Eynard parvient à atténuer ce défaut qu’Hyppolyte Fizeau palliera plus tard par la fixation à l’or [82].

Sur le bateau l'Aigle, 29.08.1850, daguerréotype ouvert (BGE 2013 001 dag 048, photographie Institut suisse pour la conservation de la photographie)
Sur le bateau l'Aigle, 29.08.1850, daguerréotype ouvert (BGE 2013 001 dag 048, phot. Institut suisse pour la conservation de la photographie)

Dans le corpus d’Eynard, il semble que les quarts de plaques et surtout les demi-plaques soient les formats prédominants. C’est une estimation fournie par les dimensions des montages et des fenêtres. Quelques vues sont réalisées sur des formats d’un sixième ou d’un neuvième, usage qui remonte plutôt au début de la pratique d’Eynard, d’après ce que l’on peut déduire de la qualité inégale de ces pièces. Ce sont pourtant ces formats plus petits, notamment au sixième, que recommande Lerebours, en particulier pour la réalisation de portraits, en raison du temps d’exposition réduit qu’ils permettent. Loin de vouloir décourager ses lecteurs d’utiliser de grandes plaques, il les avertit des difficultés que ces formats leur réserveront et de la persévérance qu’ils leur demanderont. Si les grandes plaques exigent un plus grand investissement en temps et en argent, le résultat est à la hauteur de l’effort consenti [83].

Il est permis de penser que l’argument financier n’était pas vraiment un obstacle pour Eynard. Deux plaques entières sont conservées (BGE 2013 001 dag 054 et Getty 84.XT.255.82), mais il semble que les premiers daguerréotypes pris à Rome aient été des pleines plaques, si l’on se réfère à la seule image qu’on en a (84.XT.255.38). Pour les vues stéréoscopiques, Eynard adopte le format spécifique d’un tiers de plaque. Sur cent six vues stéréoscopiques que compte le corpus d’Eynard, vingt-deux se démarquent par l’imposant format de doubles demi-plaques, utilisé pour de majestueux paysages ou portraits de groupe. On ne connaît pas d’autre exemple de plaques stéréoscopiques de telles dimensions [84].

Certains poinçons ont été mis au jour lors d’une restauration des plaques de la Bibliothèque de Genève, entre 1995 et 1998. La plaque stéréoscopique 2013 001 dag 076 porte la marque de l’orfèvre Christofle, bien visible sur la gauche de la vue de droite. Des plaques daguerriennes vendues par l’entreprise Charles Christofle & Cie ont été utilisées en France et aux États-Unis, marché d’exportation très important pour le daguerréotype, entre 1847 et 1862. La plaque DE 013 porte un poinçon du fabricant A. Gaudin (Alexis Gaudin) qui affiche un titre d’argent d’un 40e. Les poinçons mis au jour indiquent plus souvent un titre d’un 30e (DE 011, DE 029, DE 035), soit une part d’argent pour vingt-neuf parts de cuivre. Ces titres correspondent aux teneurs en argent préconisées pour la photographie [85]. Mais la qualité d’un daguerréotype dépend également de l’homogénéité du placage et, donc, du sérieux de la fabrication. Le poinçon, qui identifie le fabricant, est une garantie de qualité quand circulent, au mépris de la loi, des contrefaçons non marquées [86].

Poinçon Christofle de la plaque daguerrienne, entre 1852-1855 (BGE 2013 001 dag 076)
Poinçon Christofle de la plaque daguerrienne, entre 1852-1855 (BGE 2013 001 dag 076)

En plus de préparer les plaques et de les traiter pour révéler et fixer les images, il semble qu’Eynard effectue lui-même ses montages et ses encadrements. C’est ce qu’indiquent ses Notes journalières à propos des vues qu’il réalise à Neuilly pour Louis-Philippe : « Anna […] est venue m’aider à encadrer les épreuves. […] Et alors la colle en bouche, en mains, je me hâtais autant que possible ; […] je voulais finir, je suis encore resté quelques minutes et enfin j’ai pu emporter quatre épreuves encadrées. » [87]. On devine la force de l’habitude sans laquelle il n’aurait pu offrir au roi de France les daguerréotypes réalisés le jour même.

Au début, Eynard utilise des passe-partout en carton clair [88], qu’il glisse entre la plaque et un verre protecteur, maintenus ensemble par une bande de scellement. À partir de 1843, les catalogues de fournitures photographiques proposent, en plus des « passe-partout ordinaires » des verres de protection peints en noir et ornés d’un filet d’or assorti au biseau, lui aussi doré ; leur coût est bien plus élevé, mais leur effet esthétique, supérieur [89].

 Il est probable qu’Eynard ait adopté rapidement le nouveau genre de présentation. Certaines plaques prises le même jour présentent les deux types de conditionnement, sans doute pour expérimenter l’effet de deux rendus esthétiques différents (voir 2013 001 dag 073 / rm 017 ; 2013 001 dag 058 / IG 2003-293 ; 84.XT.181.3 84.XT.255.46 ; 84.XT.255.22 / 84.XT.255.14 ; DE 016 / 84.XT.255.60). Il est difficile de déterminer les premières occurrences du conditionnement noir dans son œuvre car on peut penser qu’il a réencadré par la suite certaines pièces antérieures à 1843 avec ce nouveau procédé (voir dl 03 ; 84.XT.255.11 ; 84.XT.255.40 ; etc.). Jusqu’en 1845, le nombre de daguerréotypes encadrés dans des verres de protection noirs se restreint toutefois à quelques unités, sauf en 1843, année au cours de laquelle il a peut-être testé cette nouveauté. A partir de 1846, son usage des verres de protection augmente sensiblement et devient presque systématique à partir de 1849, à quelques exceptions près (voir elysee 005948, daté du 28 septembre 1850 ; DE 045). En revanche, on ne connaît aucune vue stéréoscopique qui soit encadrée dans un passe-partout de couleur claire ; toutes sont postérieures à 1852. Enfin, mentionnons que les montages dans des cadres ouvragés restent rares, l’état actuel n'étant pas nécessairement celui d’origine (voir DESN 01 ; fao 38838 ; gum 078 ; koll lot 1602 a187 ; rm 021).

Prises de vue

Au verso de certains daguerréotypes, Eynard consigne des informations techniques sur le temps de pose, l’heure de la prise de vue, la saison ou encore le temps qu’il fait : « à Beaulieu, le 10 septembre 1855 à 4 heures, en 22 secondes, temps pas très clair » [90], « le 16 novembre 1851, 24 secondes, à 1h ½, temps clair mais très froid. » [91]. Ces inscriptions attestent le caractère expérimental de la démarche d’Eynard. Il est conscient de la nécessité de consigner les raisons d'un échec ou d'une réussite et il est toujours à la recherche des bonnes conditions de prise de vue et de la combinaison idéale des multiples paramètres qui influencent le résultat. Les traités de photographie fournissent de nombreux conseils pratiques pour prendre en compte ces facteurs. Pour photographier la végétation, par exemple, Marc-Antoine Gaudin constate que « l’automne est la saison la plus favorable, parce que le feuillage est devenu plus clair » [92].

Une prise de vue ne s’improvise pas. En 1842, pour réaliser des portraits de la famille royale française, Eynard fait des essais de mise en scène et de lumière avec sa femme Anna : « J’ai engagé Anna à venir chercher avec moi le meilleur endroit du jardin ; […] Anna s’est placée là où sera le Roi […]. J’ai dit au Roi que tout était prêt. Il s’est placé entre la Reine et Mme Adélaïde. J’ai dit “fixe”, et au bout de 42 secondes j’ai dit “c’est fini ”. » [93]. Eynard explique encore les conséquences du changement d’emplacement qu’il doit effectuer pour accueillir un groupe plus nombreux. « Le jour étant moins brillant », car la mise en place de l’assistance a trop duré, il doit étendre le temps d’exposition à 47 secondes, indication qui témoigne de la rigueur qu’exigeaient les opérations.

Pour conclure sur les aspects techniques, dont on peut affirmer qu’ils nourrissent la passion d’Eynard pour le daguerréotype, mentionnons l’usage qu’il fait des miroirs et des prismes pour redresser les vues. Ces dispositifs, utiles lorsqu’il s’agit de représenter fidèlement une architecture, le sont moins pour les portraits. Cette circonstance explique qu’on ne compte guère plus d’une trentaine de vues recourant à ces procédés [94].

Un cas particulier: les reproductions

La diffusion d’images constitue un enjeu social et commercial majeur au 19e siècle. La gravure de reproduction s’est considérablement développée au 18e siècle et l’invention de la lithographie en 1798 a offert des possibilités inconnues jusque-là. Les premières recherches de Nicéphore Niépce, qui aboutissent à l’invention de la photographie, visent notamment à reproduire des dessins par des moyens qui s’apparentent à ce qui deviendra la photogravure. Le daguerréotype ne permet cependant que difficilement la reproduction d’images existantes et n’offre pas la possibilité de les diffuser.

C’est la technique inventée par Fox Talbot, et fondée sur un négatif papier (calotype) permettant de tirer plusieurs épreuves positives, qui apporte la solution à ce problème. Elle donne un coup d’arrêt aux tentatives de Chevalier ou Fizeau pour dupliquer les plaques daguerriennes [95]. Comme les peintres, les daguerréotypistes doivent recourir à des copies, gravées par des artistes d’après leurs plaques, pour obtenir une matrice reproductible. Lerebours comme ses suiveurs éditent leurs albums de cette façon. Lorsque Eynard, commande à Fontanesi des lithographies de Beaulieu qu’il souhaite aussi proches que possible de ses daguerréotypes, il fait appel au même procédé.

Il est ainsi tout à fait remarquable de découvrir dans le corpus d'Eynard plusieurs reproductions photographiques de daguerréotypes. Certaines sont identiques à l’original, mis à part un léger recadrage ou l’inversion de l’image. Ainsi, la plaque dep 3829 reproduit elle 84.XT.255.18, tandis que DE 076 est une copie inversée de DE 073. La vue DE 032 est une copie redressée de 84.XT.255.12, avec un cadrage plus étroit sur le double portrait d’Anna et Jean-Gabriel Eynard. D’autres reproductions ne reprennent que certains détails de la plaque originale. À partir du portrait de groupe 2013 001 dag 049, Eynard réalise des reproductions agrandies des portraits de Victor de Broglie (DE 082) et du maître des requêtes Raulin (2013 001 dag 038). Des appareils permettant d’agrandir des détails d’une plaque étaient disponibles sur le marché, comme l’atteste le traité de Charles Chevalier [96].

Portrait de groupe à Beaulieu (BGE 2013 001 dag 049)
Portrait de groupe à Beaulieu (BGE 2013 001 dag 049)
Reproduction de détails figurant Victor de Broglie (DE 082)
Reproduction de détails figurant Victor de Broglie (BGE DE 082)
Reproduction de détails figurant le maître des requêtes Raulin (2013 001 dag 038)
Reproduction de détails figurant le maître des requêtes Raulin (BGE 2013 001 dag 038)

La reproduction d’œuvres d’art par le daguerréotype peut paraître étonnante, tant la qualité du résultat nous semble aujourd’hui médiocre, ou du moins inférieure à une copie réalisée par le moyen de l’estampe. Quel intérêt Eynard trouvait-il à reproduire des gravures alors que l’on peut imaginer qu’il ne lui aurait été guère difficile de faire l’acquisition d’une épreuve supplémentaire ? Peut-être était-il intéressé par la prouesse technique que représentaient de telles reproductions ou envisageait-il d’offrir ces vues à ses proches.

Toiles peintes, décors de théâtre

Pour ses portraits, Eynard utilise souvent différents types de fond qui répondent à des exigences aussi bien esthétiques que techniques. Gaudin leur consacre un chapitre de son Traité pratique de photographie : « Chaque fond a son avantage et son inconvénient. Les fonds blancs font paraître les chairs noires ; mais ils activent l’opération et donnent beaucoup de rondeur aux contours. Les fonds noirs font paraître les chairs blanches ; mais il est rare que les cheveux s’en détachent suffisamment. » [97]. Eynard tend des fonds monochromes sur la façade de Beaulieu pour que les figures s’en détachent sans que l’image soit brouillée par des éléments d’architecture, tels que les portes-fenêtres ou les niches abritant des statues. Les plaques 2013 001 dag 003 et DE 033, qui ont été réalisées vers 1846, offrent deux beaux exemples de ce dispositif. Une sculpture ornant la façade principale de Beaulieu y est dissimulée par un drap blanc qui apporte de la luminosité à la scène. Les vues 84.XT.255.18 ou fao 38107 utilisent, elles, une tenture sombre. En occupant une partie de l’arrière-plan, elle permet un jeu de contraste entre les vêtements clairs qui se détachent sur la toile, et les plus foncés, sur la façade. Eynard accroche parfois sa toile de manière à y faire apparaître des plis qui, comme sur la plaque ng 314, animent le fond, sans détourner l’attention des sujets principaux.

Eynard utilise également une toile peinte en guise de fond. Elle permet de réaliser des portraits dans des paysages factices, alors que les propriétés des objectifs limitent encore la possibilité d’en faire dans un paysage réel. La profondeur de champ réduite qu’ils autorisent nuirait à la netteté des portraits et des plans successifs qui composent le paysage. Sur le portrait 2013 001 dag 025, Anna et Jean-Gabriel Eynard posent en compagnie de Gabriel Charles Bouthillier de Beaumont devant une toile peinte. Ce neveu d’Anna est aussi peintre et certaines de ses œuvres, comme le dessin du château du Crest à Jussy conservé au Cabinet d’Arts graphiques à Genève, rappellent quelque peu le style de la toile utilisée par Eynard. Peut-être le photographe a-t-il voulu faire figurer le peintre devant une toile qu’il aurait exécutée pour lui ? Elle représente un paysage romantique, une vue du lac Léman avec une barque et la chaîne des Alpes, où l’on reconnaît le massif du Grammont. Il est d’usage de reproduire un paysage local, qui corresponde à un lieu dans lequel la vue aurait pu être prise. Eynard utilise cette toile peinte à vingt-deux reprises au moins, tantôt en plan général (voir 84.XT.255.69), tantôt avec un cadrage serré qui n’en laisse apparaître qu’un détail (DE 060). Pour certaines vues, la toile est tendue entre les colonnes de la façade, qui restent visibles (84.XT.255.41). Conformément aux recommandations des traités, Eynard a fait dessiner la toile « de manière que la tête se projette sur un ciel presque uni, et [pour] éviter que le feuillage des arbres n’en approche trop » [98]. L’utilisation de teintes sourdes permet d’adoucir le contour des personnages, qui se fondent presque naturellement dans le paysage peint, en renforçant l’effet d’illusion (84.XT.255.64).

Jean-Gabriel et Anna Eynard avec Gabriel Bouthillier de Beaumont devant une toile peinte à Beaulieu, entre 1840 et 1845 (2013 001 dag 025)
Jean-Gabriel et Anna Eynard avec Gabriel Bouthillier de Beaumont devant une toile peinte à Beaulieu, entre 1840 et 1845 (BGE 2013 001 dag 025)

Colorisation

L’absence de couleur représente le défaut majeur du nouveau médium, par ailleurs capable de représenter si fidèlement la réalité. De ce point de vue, la photographie souffre de la comparaison avec la chromolithographie, mise au point par Godefroy Engelmann peu avant l’invention du daguerréotype. La tentation est grande de pigmenter manuellement la plaque. Gaudin décrit la technique de la colorisation [99] qui, dans son principe, s’apparente à l’encrage « à la poupée » des matrices gravées, qui permet d’imprimer en couleur des estampes. Il s’agit d’appliquer des pigments au pinceau, en tamponnant délicatement, par de très légères touches répétées, les zones à colorier. Le procédé exige une grande dextérité. Souvent, la couleur n’est utilisée que partiellement, pour donner des effets de chair, sur les joues, les lèvres ou les mains. Il arrive aussi que des daguerréotypes soient entièrement colorisés, pour mettre également en valeur les vêtements. Le corpus d’Eynard compte moins d’une dizaine de plaques rehaussées de couleurs. Sur certaines d’entre elles, comme les portraits d’enfants DE 041 ou DE 060, seules les chairs sont colorées. Ailleurs, les robes sont délicatement teintées de rose et de bleu (DE 050), ou un uniforme d’apparat est embelli d’or pour mettre en valeur les boutons et les épaulettes (DE 074). La qualité inégale du résultat obtenu laisse à penser que les plus belles épreuves colorisées n’ont pas été teintées par Eynard lui-même, mais qu’elles ont été confiées à des ateliers spécialisés ; d’autres seraient le fruit d’essais effectués par Eynard ou de travaux réalisés par des coloristes moins adroits. Le recours probable à un atelier spécialisé ouvre aussi la question de l’attribution de ces plaques, puisqu’on ne peut écarter l’idée que ces ateliers aient pu réaliser non seulement la colorisation, mais aussi la prise de vue. C’est le cas de la plaque lf 01, attribuée à l’atelier parisien des frères Mayer, qui était réputé pour la finesse de ses colorisations. A Genève, il semble que l’atelier de Louis Bonijol ait développé une technique originale de mise en couleur des daguerréotypes [100].

Jean-Gabriel Eynard avec ses petits-enfants et Mathilde Odier à Beaulieu, 1842 (BGE DE 050)
Jean-Gabriel Eynard avec ses petits-enfants et Mathilde Odier à Beaulieu, 1842 (BGE DE 050)

Thématiques et composition de l’image

Jean-Gabriel Eynard a surtout représenté son univers proche. À quelques exceptions près, les lieux de ses prises de vue sont systématiquement situés dans ses propriétés de Paris, de Genève ou de Beaulieu, près de Rolle. S’il photographie une personnalité étrangère, c’est qu’il l’a invitée dans l’une de ses demeures. En dehors de son voyage à Rome où il s’essaie au daguerréotype en photographiant des vestiges antiques au printemps 1840, il ne s’intéresse guère à des sujets d’intérêt général, tels que paysages spectaculaires, monuments historiques, ouvrages d’art ou vues de ville. Contrairement à d’autres photographes qui en ont fait leur thème de prédilection, il n’a pas documenté les travaux qui transforment Genève en un immense chantier, pourtant bien visible du palais Eynard, à partir du milieu du 19e siècle. L’histoire ne semble pas avoir de prise sur lui. Sa production, a-t-on pu écrire, est un « miroir narcissique » [101]
On ne reviendra pas ici en détail sur les sujets figurés sur ses daguerréotypes dont on trouvera la présentation dans les textes introductifs des différents chapitres du catalogue. Il vaut cependant la peine de revenir sur certains thèmes qui traversent l’œuvre d’Eynard et qui connaissent une évolution significative, au moment où, en 1852, il se met à pratiquer la photographie stéréoscopique.

Seul ou en couple

Est marquante l’omniprésence d'Eynard dans ses photographies, au point qu’on ait pu douter qu’il en fût l’auteur. Dans ses autoportraits, Eynard se représente en robe de chambre et nous fait en quelque sorte entrer dans son intimité (DE 025 et DE 026), mais il figure aussi presque toujours dans les portraits de groupe. Cette présence quasi permanente d'Eynard dans son œuvre photographique est un trait qui l’apparente à la production de nos contemporains. Certes, s’il se montre, il ne s’expose guère comme le font les artistes du 21e siècle. Mais, comme eux, il aime à se raconter en mettant en scène des fictions.

La dimension narrative des photographies d’Eynard apparaît le plus nettement dans ses autoportraits qui se transforment parfois en tableaux vivants. Une plaque du Getty Museum (84.XT.255.42) le présente accoudé à sa table. Si ce daguerréotype est très probablement l’œuvre de l'atelier Mayer, Eynard a dû en régler la composition. Le motif de la tête appuyée sur sa main fait sans conteste référence au mélancolique, abondamment figuré dans l’art, la gravure de la Melencolia I de Dürer (1514) en étant l’exemple le plus célèbre. Cette tradition interprète ce geste comme une marque de sagesse et le signe d’un tempérament prédisposé aux sciences et aux arts. Avec sa Melencolia I, Dürer a durablement associé aux artistes l’attitude classique du penseur, le menton ou la joue appuyés sur la main [102].

Dans la même veine, un autre daguerréotype du Getty Museum (84.XT.255.62) montre Eynard de profil, absorbé par la lecture d’un grand in-folio, dans une pose qui se réfère incontestablement à l’univers de la peinture de la Renaissance. On pense au portrait d’Erasme de Rotterdam par Holbein ou à celui de saint Jérôme dans son cabinet de travail. L’utilisation de la lumière, dont le reflet sur le livre clair illumine le visage, révèle les détails dans les parties sombres, par exemple la chevelure peignée ou la fourrure du col [103]. C’est cette maîtrise de la lumière qui vaut à cette plaque de Jean-Gabriel Eynard de figurer parmi les plus beaux daguerréotypes du musée J. Paul Getty, qui la compare aux dessins de Rembrandt. Eynard a manifestement cherché à se représenter sous les traits caractéristiques du penseur et de l’homme de lettres. Dans la tradition de l’autoportrait, il se met en scène comme le font les artistes qui « se figurent dans des attitudes étudiées – en martyr, en penseur ou en mélancolique » [104].

Jean-Gabriel Eynard en train de lire un livre, entre 1845 et 1850 (84.XT.255.62)
Jean-Gabriel Eynard en train de lire un livre, entre 1845 et 1850 (Getty 84.XT.255.62)

Si l’autoportrait constitue à l’évidence un thème cher à Eynard, puisqu’il apparaît sur deux cent cinquante-cinq épreuves, soit plus de la moitié du corpus, les portraits individuels restent rares ; à peine onze ou douze peuvent lui être attribués avec certitude. L’autoportrait chez Eynard se comprend en relation avec les autres, et en premier lieu avec sa femme Anna, présente sur plus de cent-soixante daguerréotypes. Il n’existe cependant qu’une douzaine de portraits du couple Eynard-Lullin, dont sept se distinguent par leur mise en scène très étudiée. La position d’Anna est presque identique d’une image à l’autre. Elle dirige invariablement son regard vers son époux, alors que Jean-Gabriel se tient, selon les cas, de face, de trois-quarts ou de profil. La relation entre l’homme et la femme est de toute évidence à l’avantage du mari (84.XT.255.12). S’il lui arrive de montrer d’autres hommes attentifs à leur compagne (elysee 005933), Eynard ne se montre généralement pas lui-même dans cette attitude. Sans être totalement absents, les gestes de tendresse sont le plus souvent discrets (rm 019 ; 84.XT.255.64 84.XT.255.68).

En groupe

La singularité affichée d’Eynard et de son couple apparaît clairement dans les grands portraits de groupe. La comparaison de ces dizaines de variantes du même sujet – la représentation de cinq à vingt personnes devant la façade d’une maison – prouve combien Eynard s’est montré soucieux de bien disposer ses figurants devant l’objectif. Dans les pièces les plus abouties, Eynard organise géométriquement l’image, en s’appuyant notamment sur la structure très régulière de l’architecture figurée en arrière-plan. Un daguerréotype pris vers 1848 illustre à merveille ce procédé (2013 001 dag 052). L’image est construite sur l’opposition entre le couple Eynard-Lullin et la famille de leur fille Sophie, deux sous-groupes séparés par une table. La façade en arrière-plan est utilisée comme une grille qui assigne à chacun sa place dans la composition, d’un point de vue non seulement formel, mais aussi social. La disposition des figures est hiérarchique : les deux adultes masculins, assis, sont clairement désignés comme les personnages les plus importants, par la place qu’ils occupent à l’avant-plan et par la convergence des regards des femmes en direction de Charles Eynard, alors que Jean-Gabriel affecte le détachement.

Dans de nombreuses images, Eynard et, dans une moindre mesure, Anna occupent une place spécifique. Cette singularité se décline de nombreuses façons : seul homme au milieu des femmes (IG 2003-289) ou seul homme entre femmes et enfants (DE 077), il adopte des gestes affectueux (2013 001 dag 044) ou se détache de son entourage par une activité propre telle que la lecture (odb jge 03). Le couple Eynard-Lullin se représente souvent de profil à l’une des extrémités de l’image, parfois face à face à l’écart des autres figurants (IG 2003-293; 2013 001 dag 015), position qui lui assure une forte visibilité dans des images très densément peuplées. L’expressivité joyeuse, voire facétieuse, de Jean-Gabriel le distingue non seulement de sa femme, toujours sérieuse, mais aussi des autres convives (2013 001 dag 025; 2013 001 dag 026).

Expériences formelles et maîtrise technique

Le plus ancien portrait de groupe réalisé par Eynard témoigne déjà d’une volonté affirmée d’innovation formelle (2013 001 dag 040). La composition de l’image repose entièrement sur l’alternance de figures debout et assises, ainsi que sur l’opposition entre celles qui nous tournent le dos et celles qui nous regardent. L’originalité d’un portrait de groupe où le visage des personnes représentées n’est pas visible ne connaîtra pas de suite dans l’œuvre d’Eynard, à de rares exceptions près, comme sur le daguerréotype 2013 001 dag 133, où deux employés sont représentés de dos. Mais le regroupement des figurants, leur disposition équilibrée et le recours à la géométrie comme principe de composition constituent un trait permanent de sa production (2013 001 dag 034 ; 84.XT.255.63). Même si la qualité technique du résultat laisse encore à désirer, l’équilibre de l’image est ici d’autant plus remarquable qu’il ne prend pas appui, comme ailleurs, sur l’effet structurant de l’environnement architectural.

Jean-Gabriel Eynard assis sur un banc près d'une fontaine à Beaulieu, entre 1845 et 1850 (BGE 84.XT.255.63)
Jean-Gabriel et Anna Eynard avec Sophie Odier, entre 1845 et 1850 (Getty 84.XT.255.63)

Une autre pièce (2013 001 dag 010), qui compte également parmi les plus anciennes qui nous soient parvenues, témoigne d’un autre type de recherche, déterminant pour la suite du travail d’Eynard. Les figurants ne sont pas simplement alignés en rangs serrés face au photographe, mais disposés de manière à suggérer une scène de la vie quotidienne. Le modèle lointain de ces mises en scène est à rechercher dans les conversation pieces [105] anglaises du 18e siècle qui trouvent elles-mêmes leur lointaine origine dans la peinture flamande de la fin du Moyen Age et du début de l’époque moderne.

Plus particulièrement, les analogies entre certains daguerréotypes de Jean-Gabriel Eynard et les tableaux réalisés par son beau-frère Adolphe Lullin sont frappantes. Eynard n’a très certainement jamais rencontré ce peintre mort très jeune. Il en connaissait au moins deux toiles, l’une conservée dans la famille, aujourd’hui au Musée d’art et d’histoire (MAH 1905-3), l’autre qu’il a reproduite (DE 091). Les portraits de famille d’Eynard et d’Adolphe Lullin présentent une structure proche : isolement du pater familias pris dans son activité (voir odb jge 03), regroupement des figures en blanc, en général les femmes (2013 001 dag 002), importance de l’arrière-plan dans la structuration de l’image.

Dans les compositions, l’architecture, notamment celle néo-classique de Beaulieu, joue un rôle essentiel. Sur plus d’une dizaine de plaques, un même cadrage prend la façade en écharpe, laissant voir à l’arrière-plan un espace sombre qui fait disparaître la végétation et contraste avec la surface claire du bâtiment [106]. Les groupes sont placés perpendiculairement à la façade, à une distance plus ou moins égale. La variété est amenée par les attitudes et la disposition des modèles. Ils peuvent être en conversation avec un voisin (rm 004), deux personnes face à face peuvent être isolées du groupe (DE 044), qui peut être formé de l’agrégation de petits ensembles, certains regards portés au loin (2013 001 dag 057), ou au contraire tournés vers la caméra (vevey 73249). Une plaque de la collection Auer (fao 38275) met en scène un goûter, faussement naturel. Dès 1841, Eynard expérimente d’autres situations, par exemple avec des vues rapprochées (84.XT.255.40).

Grâce aux améliorations techniques apportées à l’appareillage photographique et à la maîtrise des procédés de daguerréotypie qu’il acquiert avec le temps, Eynard atteint une forme de maturité dans les années 1848-1850. Alors que les daguerréotypes des premières années peuvent présenter un aspect froid et terne, il a désormais la capacité de restituer toutes les nuances du visible. De cette maîtrise témoignent deux autoportraits (DE 025 et DE 026), formellement très aboutis, qui présentent des tonalités diamétralement opposées. Un virage à l’or confère à la plaque DE 025 une tonalité chaude, chatoyante, que soutient la large dorure du passe-partout bordée d’un filet en accolade. A l’inverse, une géométrie rigoureuse, dans la tradition du portrait néo-classique, structure la composition du daguerréotype DE 026. La figure, parfaitement centrée et délimitée par les lignes verticales et horizontales que le mobilier dessine, est enchâssée dans un passe-partout octogonal. Le carton clair, dont les angles abattus évoquent une pierre taillée, renforce l’effet graphique obtenu par la tonalité froide et les gris soutenus. Eynard a désormais la capacité de restituer toutes les nuances, comme cet effet marbré qui anime le fond, ou les vibrations que les motifs du vêtement ou les textures du mobilier semblent produire.

Un nouveau champ d’exploration : la stéréoscopie

Au début des années 1850, lorsque apparaît la stéréoscopie, Eynard est un photographe confirmé, reconnu comme tel dans les publications. Il va se passionner pour cette nouvelle technique qui l’obligera à remettre en cause ses habitudes. Pendant trois ans, entre 1852 et 1855 environ, il produit plus d’une centaine de vues stéréoscopiques. Cent six plaques nous sont parvenues, nombre considérable.

L’apparition de la stéréoscopie pose de nouveaux problèmes au photographe, le format s’approchant du carré ou devenant vertical. L’étroitesse de l’image ne permet plus d’aligner dans le sens de la largeur des personnes assises ou debout sur deux rangs réguliers comme Eynard  avait l’habitude de le faire (DE 088). Une vue prise à Beaulieu dont les figures placées aux extrémités latérales ont été coupées (2013 001 dag 106)  et une autre au palais Eynard à Genève, où la partie supérieure de l’image est laissée vide (2013 001 dag 124) - illustrent bien les problèmes que pose le nouveau format.

Eynard ne renonce pas pour autant à l’effet de réalité que crée l’image en relief. Pour relever le défi, il fait preuve d’une ingéniosité remarquable dans la conception de ses compositions. Il augmente la profondeur de champ de ses images par des vues en oblique (DE 062; 2013 001 dag 107, 2013 001 dag 111 et 2013 001 dag 112) quand il ne met pas à profit les possibilités qu’offre l’architecture. Elle peut occuper l’espace vide (2013 001 dag 061, 2013 001 dag 068 et 2013 001 dag 085) ou offrir des tribunes où répartir les sujets à photographier (2013 001 dag 063, 2013 001 dag 64 et DE 047).

L’intérêt d’Eynard pour la photographie stéréoscopique n’est pas seulement démontré par le nombre de plaques qu’il a laissées. À Beaulieu, il adopte (et il est apparemment le seul à l’avoir fait) des demi-plaques pour réaliser des images tout à fait exceptionnelles de son domaine. Dans ces images, il est très souvent seul, au centre du monde qui est le sien, mettant en évidence sa relation à son environnement. Ces portraits se rattachent à la tradition de la peinture romantique, dont l’influence semble forte à la fin de sa vie. Le commentaire de Philippe Kaenel au sujet des lithographies de Beaulieu par Fontanesi s’applique tout aussi bien à ces daguerréotypes : « C’est une règle implicite du paysage pittoresque que de le mesurer à l’homme » [107].

Jean-Gabriel Eynard assis sur un banc près d'une fontaine à Beaulieu, entre 1845 et 1850 (BGE 2013 001 dag 070)
Jean-Gabriel Eynard assis sur un banc près d'une fontaine à Beaulieu, entre 1852 et 1855 (BGE 2013 001 dag 070)

[1] Michelle Bouvier-Bron, Une jeunesse en Italie : les années de formation de Jean-Gabriel Eynard, Genève, 2019.

[2] Jean de Montenach et Anna Eynard-Lullin, Vienne 1814-1815 : journaux du Congrès : « J'ai choisi la fête... », textes établis et introduit par Benoît Challand, Alexandre Dafflon et Jim Walker, Fribourg, Archives de la Société d'histoire du canton de Fribourg, 2015, n. s. 18.

[3] Edouard Chapuisat, Jean-Gabriel Eynard et son temps (1775-1863), Genève, A. Jullien, 1952 ; Gérard Duc, Jean-Gabriel Eynard (1775-1863) : Jean-Gabriel Eynard (1775-1863) : un diplomate et financier genevois au temps des révolutions, Genève, 2020.

[4] Chapuisat, op. cit, p. 38. Eynard suit des cours de chimie avec le professeur Thénard, pour la gestion de ses mines d’alun.

[5] Ce télescope est visible sur une aquarelle du salon de Beaulieu par Alexandre Calame, MAH, CAG, inv. 1963-0036. La longue-vue apparaît sur le daguerréotype 84.XT.255.84.

[6] Jean-Gabriel Eynard, Notes journalières (1831-1848), f. 622 à 627 (BGE, Ms suppl. 1874, note du 7 juin 1842), publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anex et, Michel Currat, Familles d'images : en visite chez Jean-Gabriel Eynard, [Exposition, Genève, Centre d'iconographie genevois à la Maison Tavel, du 22 mars au 26 août 2001], Genève, Musées d'art et d'histoire, 2001, p. 28. L’amusement, qui le distingue des photographes professionnels, est une notion fréquemment utilisée par Eynard pour qualifier son activité de photographe. Autres occurrences, op. cit., p. 32 et Philippe Kaenel, « “ Je crois que l'art est fait pour quelque chose de plus ”: Jean-Gabriel Eynard, Antonio Fontanesi, la photographie et les arts graphiques dans les années 1850 », Art + Architecture en Suisse, n°4, 2000, p. 12, n. 7 et p. 13, n. 18.

[7] Le fait est d’autant plus remarquable qu’Eynard cessera de pratiquer la photographie peu après (voir plus bas).

[8] Publicité de Daguerre pour son procédé, 1838, cité dans Quentin Bajac et Dominique Planchon-de Font-Réaulx, Le Daguerréotype français : un objet photographique, catalogue d’exposition, Paris, Réunion des musées nationaux, 2003, p. 384.

[9] Voir Christophe Dutoit, « Une collection miraculeusement sauvée de l’oubli », dans : Miroirs d’argent : daguerréotypes de Girault de Prangey, catalogue d’exposition au Musée gruérien, Genève, 2008, p. 91. Un inventaire ancien signale l’existence de près de mille vues prises par Girault de Prangey.

[10] Voir Dominique Planchon-de Font-Réault, « Grands amateurs », dans : Quentin Bajac et Dominique Planchon-de Font-Réault, op. cit., p. 322-329.

[11] Ibid., p. 330-335.

[12] Il n’existe pas de texte permettant de fixer précisément la fin de l’activité de photographe d’Eynard. L’année proposée résulte de la datation approximative des plaques les plus récentes.

[13] Jean-Gabriel Eynard, Notes journalières, op. cit. f. 622 à 627 (note du 9 juin 1842), publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anex et Currat Michel, op. cit., p. 28.

[14] Le Droit, 31 janvier 1855, p. 4.

[15] Jean-Gabriel Eynard, Notes journalières, op. cit., f. 622 à 627 (BGE, note du 7 juin 1842), publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anex et Michel Currat, op. cit., p. 27.

[16] Ibid., note du 18 juin 1842.

[17] Lettre de Jean-Gabriel Eynard à son frère Jacques, 7 mars 1840, Genève, BGE, Ms suppl. 1848, f. 91

[18] Procès-verbal n° XXII de la Société pour l’Avancement des Arts, Rapport du comité d’Industrie et de Commerce, Genève, 13 août 1840, p. 32.

[19] Michel et Michèle Auer, Une histoire de la photographie. Hermance, 2003, p. 24.

[20] A. Claudet, Sur les dangers résultant de l’emploi du mercure. La Lumière, (n° 1), 9 février 1851, p. 59.

[21] Lerebours, op. cit., 1843, p. 33.

[22] Lerebours, op. cit., 1843, p. 76. À noter que la description de Lerebours n’a pu être mise en relation avec aucune des plaques connues à ce jour de Jean-Gabriel Eynard.

[23] J. Thierry, Daguerréotypie. Franches explications, Paris, Lerebours et Secrétan, 1847, p. 84-86.

[24] Voir plus bas.

[25] La Section historique comprenait une exposition rétrospective pour la commémoration du centenaire des premières recherches relatives à la photographie. La commission comprenait les photographes Fred Boissonnas, Georges Charnaux, Frank-Henri Jullien, Charles Lacroix et Louis-L. Pricam, les conservateurs de musée Eugène Demole et Antoine Dufaux, le photographe amateur et président de la Société genevoise de photographie Antoine Mazel. Sur cette exposition, qui aurait présenté 8000 documents, voir Louis-Philippe Clerc, Exposition nationale suisse de photographie, Genève, 1923 ; Journal de Genève, 17 avril et 9 mai 1923.

[26] BGE VG N18x24 09409.

[27] Michel Auer, « Comment j’ai découvert le photographe Jean-Gabriel Eynard-Lullin », dans : Pionniers de la photographie en Suisse romande, Genève, 2019, p. 62-74.

[28] Michel Auer, « Jean-Gabriel Eynard-Lullin, photographe », dans : Revue du Vieux-Genève, 1973, 3e année, n° 3, p. 65-69.

[29] Philippe Kaenel, art. cit.

[30] Helmut Gernsheim, Geschichte der Photographie, die ersten hundert Jahre, Frankfurt am Main / Berlin, Propyläen Verlag, 1983, p. 159.

[31] Michel et Michèle Auer, Encyclopédie internationale des photographes de 1839 à nos jours, Hermance, 1985.

[32] Michel et Michèle Auer, Collection M.+ M. Auer, une histoire de la photographie, Hermance, 2003, p. 36-39.

[33] Rochester 1973 9 2.

[34] P 1973 257, p 1973 224.

[35] R. Perret, Kunst und Magie der Daguerreotypie, Collection W.+T. Bosshard, Brugg, 2006, p. 33-35.

[36] Aujourd’hui conservé au Musée Ludwig de Cologne, cf. inv. wrm ph sl 34.

[37] Bates Lowry et Isabel Barrett Lowry, The Silver Canvas. Daguerreotype Masterpieces from the J. Paul Getty Museum, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 1998 ; Luc Debraine, « Oubliés à Genève, les daguerréotypes de Jean-Gabriel Eynard brillent à Los Angeles », dans : Le Temps, 3 juillet 1998 : « Dans le catalogue de l'exposition, les experts du Getty se confondent d'admiration devant le talent du pionnier, quitte à le comparer aux vieux maîtres de la peinture hollandaise. Voilà qui est appuyé, mais qui donne le ton. À l'extrémité nord de Sunset Boulevard, Jean-Gabriel Eynard est désormais une star »). Voir aussi la liste des expositions dans le présent catalogue.

[38] Au sujet des collections de peintures des Eynard et pour tout ce qui suit, voir Renée Loche, « Un cabinet de peintures à Genève au 19e siècle : la collection Eynard. Essai de reconstitution », dans : Genava, 27, 1979, p. 177-221.

[39] Ce tableau figure sur une aquarelle d’Alexandre Calame représentant un salon de Beaulieu, voir MAH, CdAG, inv. 1963-0034.

[40] Renée Loche, art. cit., p. 180.

[41] Leïla el-Wakil, dans : Livio Fornara (éd.), Genève, 1819-1824, trois concours pour un musée. Dossier accompagnant l’exposition organisée à la maison Tavel du 27 mai au 3 octobre 1999, Genève, 1999, p. 21.

[42] Œuvres de Louis Dorcière, de Frédéric Dufaux et de Charles Menn. Voir [Albert Rilliet], Les bustes de l’Athénée, [Genève], [1863] ; Grégoire Extermann, « D’Adhémar Fabri à Pictet de Rochemont : les gloires genevoises du palais de l’Athénée », dans : Frédéric Hueber et Sylvain Wenger (dir.), Regards croisés sur les arts à Genève (1846-1896), Genève, Georg, 2019, p. 151-182.

[43] Grégoire Extermann, « Opere di Lorenzo Bartolini in Svizzera », Neoclassico. Semestrale di arti e storia, Trieste, n° 27-28, 2005, p. 44-89 ; id., « Un talent digne de Périclès : Lorenzo Bartolini et la Grèce », dans : Franca Falletti, Silvestra Bietoletti et Anna Rita Caputo (éd.), Lorenzo Bartolini : Beauty and Truth in Marble, ouvrage accompagnant l’exposition de Florence (Galleria dell'Accademia), 31 mai-6 novembre 2011, Florence, Giunti, 2011, p. 73-85, en particulier p. 79-80 ; Brunori Lia (dir.), L’Arnina di Lorenzo Bartolini : il marmo ritrovato per Giovanni degli Alessandri, [Exposition Firenze, Galleria dell’Accademia, 2014], Livourne, Sillabe, 2014, Quaderni di studio, n°1.

[44] Renée Loche, art. cit., p. 217-217, nos 146 et 147.

[45] Renée Loche, art. cit., p. 185.

[46] Une oeuvre de Soutzo est conservée au Musée d’Orsay (https://www.musee-orsay.fr/fr/collection). Sur Grégoire Soutzo (vers 1818-1869), voir la nécrologie parue dans le Journal de Genève à sa mort (4 mars 1869, p. 2).

[47] Bates Lowry et Isabel Barrett Lowry, op. cit., p. 56, 144 et 154.

[48] Pour plus d’informations, voir la contribution d’Isabelle Roland sur « Le rôle de l’architecture dans l’œuvre d’Eynard ».

[49] Renée Loche, art. cit., p. 177 et p. 182-183. Certaines vues ont été copiées par Hilda Diodati-Eynard à la fin du 19e siècle. Voir les collections en ligne du Musée d’art et d’histoire.

[50] Renée Loche, art. cit., p. 177.

[51] Id. ibid.

[52] Grégoire Extermann, Opere di Lorenzo Bartolini, op. cit. p. 54-55, n. 30 : «Nous apportons avec nous nos portraits faits par Vernet. Celui de ma femme est charmant, le mien qui avait été excellent, parfait même à ce que tout le monde disait, a été entièrement gâté et tellement que Vernet a voulu en refaire un autre, mais comme je n’ai pas posé, il se trouve encore plus mauvais que l’autre. Il a voulu me rajeunir et quoique ce soient les traits, ce n’est pas moi, ni l’expression de ma figure à ce qu’on dit » (lettre de Jean-Gabriel Eynard du 4 juin 1831).

[53] DE 002, DE 003, DE 014.

[54] Voir Leïla El-Wakil, Bâtir la campagne : Genève 1800-1860, tome 1, Genève 1988, p. 199.

[55] Gabriel Charton (1775-1853) est considéré et se considérait comme le fondateur de la lithographie à Genève qu'il a pratiquée dès 1817 ; il cède son établissement en 1840 (Journal de Genève, 21.03.1840). Sur la lithographie à Genève, voir Alfred Schreiber-Favre, «Renseignements sur l'histoire de la lithographie à Genève », dans : Pro Arte, novembre 1944, p. 447-450.

[56] Journal de Genève, 28.11.1856, p. 4. Remarquons que Fontanesi ne jugera pas bonne la qualité de cette imprimerie lithographique (Philippe Kaenel, art. cit., p. 14, n. 35).

[57] Lettre de Fontanesi à Eynard du 27 nombre 1854, citée par Philippe Kaenel, art. cit., p. 13, n. 27.

[58] Lerebours, op. cit., 1843, p. 69-70.

[59] Philippe Kaenel, art. cit., p. 14, n. 27.

[60] Philippe Kaenel, art. cit., p. 14, n. 32.

[61] Jean-Gabriel Eynard, Notes journalières, op. cit., note du 9 juin 1842, publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anex et Michel Currat, op. cit., p. 28.

[62] À Genève, les deux peintres-photographes les plus emblématiques de cette esthétique sont Jean-Louis Populus (1807-1859) et Alexandre-Louis-François d'Albert-Durade (1804-1886).

[63] Voir par exemple, BGE phot30p eyn 01.

[64] Eynard, Jean-Gabriel, Notes journalières 1831-1848, f. 622 à 627 (BGE, Ms suppl. 1874, note du 9 juin 1842), publiée dans : Fornara Livio, Anex Isabelle, Currat Michel, Familles d'images : en visite chez Jean-Gabriel Eynard, [Exposition, Genève, Centre d'iconographie genevois à la Maison Tavel, du 22 mars au 26 août 2001], Genève, Musées d'art et d'histoire, 2001, p. 28.

[65] Jean-Gabriel Eynard, Notes journalières, op. cit.,, note du 21 juin 1842, publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anexet Michel Currat, Familles d'images, op. cit., p. 32.

[66] Louis Bonijol est un proche d’Auguste de la Rive, qui possède un appareil de Daguerre en 1840 au plus tard ; il est invité par Eynard à Beaulieu vers 1840-1841 (voir dl 03 et la biographie liée à cette fiche). Un appareil « genevois » pour pleine plaque, doté d’un objectif Lerebours, est conservé à la fondation M+M Auer. Il provient de l’opticien Choitel, successeur de Wallner, ce dernier ayant lui-même repris vers 1890 le commerce fondé par la famille Guédin à la rue de la Corraterie en 1800 (Michèle et Michel Auer, Pionniers, op. cit., p. 36).

[67] Voir Louis Figuier, Histoire des principales découvertes scientifiques modernes, Bruxelles, 1854, t. 4, p 28 : « M. Ch. Chevalier imagina une modification particulière de l’objectif, qui doubla, pour ainsi dire, la puissance de l’instrument. L’emploi d’un double objectif achromatique permit à la fois de raccourcir les foyers pour concentrer sur la plaque une grande quantité de lumière, d’agrandir le champ de la vue et de faire varier à volonté les distances focales. »

[68] Nicolas Crispini et Clément Lambelet, Genève en relief et autres faits divers, Genève, 2015, p. 11-12.

[69] Antoine Claudet (1851), cité par Michel et Michèle Auer, Une histoire de la photographie, op. cit., p. 37.

[70] Bulletin de la Société française de photographie, Paris, tome 2, 1856, p. 320-321.

[71] Catalogue de la deuxième exposition annuelle des œuvres, appareils et produits, Paris, Société française de photographie, 1857, p. 29.

[72] Michel Auer, « Jean-Gabriel Eynard », dans Michèle & Michel Auer, Pionniers de la photographie, op. cit., p. 63. L’inscription exacte « domestique chez Mr Eynard pendant une trentaine d’années et qui servait d’aide pour ses daguéreotypes » figure au verso du portrait de Jean Rion (84.XT.255.71).

[73] Philippe Kaenel, art. cit., p. 12, n. 8, et p. 13, n. 27. Faut-il en déduire que « vers la fin de sa vie, Eynard se serait contenté de superviser les travaux, de choisir les sujets, de les arranger, sans vraiment mettre la main à la plaque » ?

[74] Voir plus haut, le chapitre sur le contexte.

[75] Voir les œuvres de ce photographe dans les collections en ligne du Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève.

[76] Bates Lowry et Isabel Barret Lowry, op. cit, p. 218, n. 45, à propos de la planche 21.

[77] Outre le daguerréotype de Rion, on ne connaît qu’une seule demi-plaque utilisée pour un portrait individuel, celui de Lullin de Châteauvieux (DE 085).

[78] Eynard, Jean-Gabriel, Notes journalières, op. cit., note du 9 juin 1842, publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anex et Michel Currat, op. cit.,, p. 28.

[79] Lerebours, op. cit., 1843, p. 33.

[80] Eynard, Jean-Gabriel, Notes journalières, op. cit., note du 9 juin 1842, publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anex et Michel Currat, op. cit.,, p. 28.

[81] Jean-Gabriel Eynard, lettre à son frère Jacques, 2 avril 1840.

[82] Voir Louis Figuier, op. cit., p 31-32.

[83] Voir Lerebours, op. cit., 1843, p. 71 : « Les personnes qui ne reculeront pas devant une dépense assez considérable et qui se sentiront assez de persévérance pour ne pas se laisser décourager par les difficultés plus grandes que présentent les plaques demi ou normales, seront amplement dédommagées des peines qu’elles auraient prises, par les beaux portraits en pied, et les magnifiques groupes qu’on peut obtenir sur ces grandes dimensions ».

[84] Nicolas Crispini et Clément Lambelet, op. cit., p. 12.

[85] Voir Charles Chevalier, Nouvelles instructions pour l’usage du daguerréotype, Paris 1841, p. 29.

[86] Voir Quentin Bajac, « ‘Une branche d’industrie assez importante’. L’économie du daguerréotype à Paris, 1839-1850 », dans : Quentin Bajac et Dominique Planchon-de Font-Réault, op. cit., p. 51.

[87]Jean-Gabriel Eynard, Notes journalières, op. cit., note du 18 juin 1842), publiée dans : Livio Fornara, Anex Isabelle, et Michel Currat, op.cit., p. 31.

[88] Les étiquettes aux dos des daguerréotypes indiquent qu’Eynard se fournit auprès de la maison Madelain, rue Chaussée-d’Antin à Paris (voir inv. 2013 067 dag), ou du papetier Wessel, Grand-Rue à Genève (voir inv. Auer fao 38838).

[89] Les passe-partout peints ne sont par exemple pas encore proposés dans la « Fourniture de tout ce qui est relatif au daguerréotype » publiée dans les Derniers perfectionnements apportés au daguerréotype, de Gaudin et Lerebours (3e édition, Paris, mai 1842, p. 2) mais dès l’année suivante, la même rubrique parue dans le Traité de photographie, derniers perfectionnement apportés au Daguerréotype, de Lerebours (4e édition, Paris, juin 1843) propose des « passe-partout ordinaires », des « passe-partout peints sur verre, filets noirs » et des « passe-partout peints sur verre, filets or ». Voir aussi Charles Chevalier, Mélanges photographiques : compléments des nouvelles instructions sur l’usage du daguerréotype, Paris, 1844, et les Nouveaux renseignements sur l’usage du daguerréotype, Paris 1846, p. 50. Amédée Queslin ne vend pas encore de verre de protection peint en 1843 (Le Daguerréotype rendu facile. Précis des procédés les plus simples et les plus prompts pour la reproduction des images photographiques, Paris, juin 1843).

[90] Voir inv. 2013 001 dag 016.

[91] Voir inv. 2013 001 dag 036.

[92] Marc Antoine Gaudin, Traité pratique de photographie, Paris 1844, p. 150.

[93] Eynard, Jean-Gabriel, Notes journalières, op. cit., note du 18 juin 1842, publiée dans : Livio Fornara, Isabelle Anex et, Michel Currat, op. cit., p. 29.

[94] Voir 84.XT.255.21, 84.XT.255.24 ou BGE DE 015.

[95] Voir Louis Figuier, op. cit., p 35-39. Figuier relate les essais de Chevalier, qui parvient à reproduire une plaque par la technique nouvelle de la galvanoplastie, et ceux de Fizeau qui vise, au moyen d’un procédé chimique, à « transformer les plaques photographiques en planches à l’usage des graveurs ».

[96] Voir Charles Chevalier, Mélanges photographiques, Paris, 1844, p. 32-33 : « En allongeant les foyers et par conséquent la profondeur de la chambre obscure, on obtient des images de grandeur naturelle et même, au besoin, plus grande que l’original ».

[97] Marc Antoine Gaudin, op. cit., p. 137.

[98] Ibid., p. 140.

[99] Marc Antoine Gaudin, op. cit., p. 174-177.

[100] Journal de Genève, 6 février 1890.

[101] Voir Philippe Kaenel, art. cit., p. 8 : sa « pratique est en accord avec l’ethos du banquier et du collectionneur. Le miroir du daguerréotype fonctionne comme un miroir fiduciaire et narcissique ».

[102] Voir James Hall, « Pourquoi fait-on des autoportraits », in Autoportraits de Rembrandt au selfie, catalogue d’exposition, Musée des Beaux-Arts, Lyon 2016, p. 15.

[103] Bates Lowry et Isabel Barret Lowry, op. cit., p. 144.

[104] Sylvie Ramond et al., Autoportraits de Rembrandt au selfie, catalogue d’exposition, Musée des Beaux-Arts, Lyon 2016, p. 8.

[105] Philippe Kaenel, art. cit., p. 9.

[106] Voir E.T. et E. Montmirel, Le daguerréotype mis à la portée de tout le monde, Paris 1842, p. 54-55. Le traité des Montmirel explique qu’« ayant une radiation chimique presque nulle, [la] verdure sort toujours en noir sur l’épreuve. […] Les teintes obscures impressionnant moins rapidement la couche sensible que les teintes claires, il arrive souvent que l’épreuve est dépassée en de certaines parties lorsqu’elle n’est pas encore venue en d’autres. »

[107] Philippe Kaenel, art. cit., p. 9.