C’est principalement à partir des années 1850 qu’Eynard réalise des daguerréotypes où la nature prédomine, de grands arbres occupant l’essentiel de l’espace. Ainsi, sur cette très belle stéréoscopie, voit-on un arbre planté à côté de l’élégante passerelle en bois de la propriété de Beaulieu, probablement celle qui enjambait la Gillière (ruisseau également appelé le Flon). Deux personnes apparaissent sur cette image : Eynard, très élégant avec sa canne et son chapeau haut-de-forme, et un domestique non identifié, qui porte un tablier à grande poche ventrale et une casquette. La distinction sociale marquée par l’habillement traduit les codes de l’époque, tandis que la présence, sur une même image, du maître de maison et de l’un ou de plusieurs de ses employés est assez récurrente dans l’œuvre d’Eynard. La composition est tout aussi élaborée que celle d’un tableau ; l’arbre et la passerelle sont mis en valeur par le cadrage et leur parfaite netteté. Les personnages, qui servent essentiellement à animer la scène et à indiquer l’échelle, sont disposés symétriquement, le domestique s’inscrivant entre le tronc et l’une des branches de l’arbre. L’herbe et les branches au premier plan sont floues, de même que l’arrière-plan, apportant une touche de romantisme à l’image. L’intensité lumineuse et un temps de pose probablement assez long ont donné une teinte bleutée au ciel (solarisation), dont Eynard a su tirer profit pour conférer plus de réalisme à la scène. Il est même possible que cette solarisation soit intentionnelle. On perçoit une légère différence d’angle de vue entre les deux images, prises avec un appareil binoculaire : ce n’est que sur l’image de droite que l’employé est bien centré entre le tronc et la branche de l’arbre.
En 1854, Eynard commande à l’artiste italien Antonio Fontanesi une série de lithographies consacrées à son domaine de Beaulieu. L’une d’elles, intitulée Le Pont neuf, représente la même passerelle, sur laquelle se promène un couple. Il est possible que l’artiste se soit inspiré de cette stéréoscopie pour réaliser son œuvre, dont le cadrage est assez similaire, bien qu’un peu plus large, abstraction faite de l’inversion induite par la caméra daguerrienne. (I. Roland)