Un costume de Voltaire: quand la conservation préventive conduit à une enquête textile
Un costume de Voltaire: quand la conservation préventive conduit à une enquête textile

Un vêtement de prestige
Ce costume en satin blanc brodé est un exemple typique de l’habit à la française, la tenue masculine emblématique du XVIIIe siècle, avec une coupe près du corps, combinée à une structure qui drape naturellement autour des hanches. Composé d’un habit (veste longue), d’un gilet et d’une culotte, cet ensemble à la silhouette élancée était porté par toutes les classes sociales. Les matériaux et ornements révèlent le statut du propriétaire: les plus riches optaient pour des soies brodées et des détails luxueux, tandis que les moins fortunés s'habillaient de tissus simples et sobres.
L’habit se caractérise par une coupe ajustée au niveau du buste, qui s’évase légèrement autour des hanches par des pans latéraux plissés, pour permettre le port d’une épée. Le gilet, autrefois plus long, s’est raccourci au fil des décennies pour s’adapter aux tendances de l’époque, tandis que la culotte, ajustée sous les genoux, complétait l’ensemble.
Ce costume présente également des boutons décoratifs et des motifs brodés qui témoignent du prestige de la personne qui portait cet ensemble richement ornementé.

Un conditionnement sur mesure
Avant cette intervention, le costume était conservé plié sur lui-même. Cette pratique, bien que fréquente dans nos dressings, est inadaptée à la conservation. Les pliures prolongées endommagent irréversiblement les fibres, particulièrement celles des textiles anciens, fragilisés par le temps.
Les vêtements avant intervention
Pour protéger les textiles anciens, les institutions patrimoniales utilisent différents conditionnements: roulés pour les grandes pièces comme les tapisseries, à plat pour les petits objets tels que les échantillons de dentelle, et à plat en boîte ou suspendus pour les vêtements en trois dimensions. Le choix dépend de l’état du textile et des équipements disponibles. Dans ce cas précis, une boîte sur mesure a été conçue pour soutenir le costume déplié, réduisant les tensions et les déformations.
La silhouette du vêtement influence son conditionnement. Sa coupe près du corps exige un rembourrage fidèle à la forme originale pour éviter les tensions excessives. De plus, la structure est conçue pour retomber naturellement autour des hanches, suspendue depuis la taille, ce qui complique le soutien sur un plan horizontal. C’est pourquoi, quand l’intégrité structurelle du vêtement le permet, on préférera un conditionnement suspendu à la verticale pour permettre au vêtement de draper de manière plus naturelle.
Les étapes intermédiaires
Le rembourrage, réalisé avec des "nuages" et des "boudins" de papier de soie, a été minutieusement ajusté pour épouser la silhouette complexe du vêtement. Cette méthode préserve l’intégrité des zones sensibles comme les épaules, tout en respectant la forme originelle comme les pans latéraux évasés de l’habit, qui ne peuvent pas être mis à plat.
Les nouveaux supports, en matériaux neutres et non acides, assurent la stabilité physique des objets. Ils facilitent également leur accès aux chercheurs et chercheuses: un pan de Tyvek® (matériau synthétique) placé sous chaque élément permet de le sortir de sa boîte, de l’examiner sur une table puis de le ranger à nouveau sans jamais créer de point de contact entre le tissu et les mains des chercheurs et chercheuses.
Les vêtements après intervention
Une énigme bien brodée
En parlant de recherche, une des découvertes les plus captivantes de ce projet a été l’analyse des décorations brodées du costume, faites au point de chaînette, en soie polychrome. Les motifs floraux, d’une régularité et d’une précision impressionnantes, ont soulevé une question intrigante: étaient-ils réalisés à la main ou à la machine?
La broderie mécanisée en point de chaînette, dite Cornely, est apparue en 1860, soit… presque un siècle après la disparition de Voltaire. La broderie Cornely a été inventée pour imiter le point de chaînette, qui, lui, est réalisé à la main sur tambour avec un crochet. Cette technique, originaire de la Chine, se serait répandue en Europe au XVIIIe siècle avec un grand succès en France. Elle a même été connue sous le nom de “point de Pompadour”, d’après la Marquise de Pompadour qui en a lancé la mode. Chez les hommes, les habits de cour en satin blanc sont ainsi brodés d’un florilège de motifs, permettant de mettre en valeur à la fois la couleur des soies et la délicatesse des dessins.
Pour notre habit, un décor de broderie faite à la machine aurait impliqué une datation postérieure à la vie de Voltaire, remettant en question l’authenticité de l’attribution du costume. Une analyse minutieuse a permis de conclure que les broderies, fragilisées et aux couleurs souvent fanées, avaient été réalisées à la main, selon les techniques traditionnelles du crochet, et comprenant non seulement des points de chaînette mais aussi des points tirés ou des points de festons. L’uniformité des motifs résulte de la maîtrise exceptionnelle des artisans, et non de la régularité d’une broderie mécanique.
Conservation préventive et expertise textile
L’intervention réalisée sur ce vêtement relève de la conservation préventive: c’est une stratégie proactive qui vise à protéger les collections avant l’apparition des dégradations, ou au moins à les ralentir dans le cas où elles sont déjà apparues. Contrairement à la conservation-restauration, qui intervient pour stabiliser ou réparer un objet déjà endommagé, la conservation préventive anticipe les risques pour prolonger la vie des objets dans leur état actuel.
L’examen de son ornementation, quant à elle, permet de décrypter les secrets des textiles historiques. La connaissance des techniques de fabrication, comme le point de Beauvais et la broderie Cornely, est indispensable pour situer un objet dans son contexte historique et culturel. Les compétences en conservation textile dépassent ainsi la simple restauration et préservation physique des collections: elles jouent un rôle clé dans l’interprétation de leur signification historique, technique et sociale, un domaine où les conservateurs-restaurateurs apportent une expertise souvent sous-estimée.
Analyse des broderies
⇒Rosie H Cook - Conservatrice-restauratrice
Spécialisée en conservation de textiles, Rosie Cook a étudié l'histoire de l'art et l'archéologie à la School of Oriental and African Studies, avant d'obtenir un Master en Conservation des matériaux culturels à l'Université de Melbourne. Elle a mené de nombreux projets de conservation en Asie-Pacifique et en Europe, avec un intérêt particulier pour les collections liées au patrimoine vivant et aux arts du spectacle.
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