Pourquoi numériser la presse genevoise?

Numériser le patrimoine d’une bibliothèque, c'est se pencher sur des collections de natures diverses: livres, revues, cartes, archives, images, supports audiovisuels également. Mais il y a une catégorie de documents dont la numérisation est particulièrement signifiante: la presse quotidienne.

Pourquoi numériser la presse genevoise?

numerisation presse

La presse est un écho de la vie des temps passés sous ses multiples facettes. Un historien belge Roman Van Enoo a bien décrit au tournant du millénaire les domaines pour lesquels la presse est une source de premier choix: "histoire politique, institutionnelle, économique, sociale, culturelle, linguistique, idéologique, religieuse, diplomatique et militaire"[1]. Ce sont également des ressources incontournables pour l'étude de la presse et des médias, de l'opinion publique, des commentaires sur les faits par le biais de tribunes, éditoriaux, dessins… ainsi que des sources iconographiques de premier plan.

Les archives des quotidiens rassemblent une somme d'informations condensées, choisies et élaborées par des journalistes qui établissent les faits et cherchent à les comprendre. Ce rôle essentiel est souligné par le spécialiste Vincent Peyrègne, interrogé il y a quelques années par Le Temps: "Le journal est un filtre antibruit au moment où la surabondance d’informations peut paradoxalement devenir une source de désinformation, et apporte plus de confusion que de clarté au débat public".[2]

[1] Romain Van Eeno, «De krant als bron», Archives et Bibliothèques de Belgique, Archief- en Bibliotheekwezen in België 78 (1‑4), 2007, pp. 211‑221.

[2] Nicolas Dufour, «Le grand virage de la presse suisse», Le Temps, 18.03.2013.

Un précurseur: le Journal de Genève

Au bout du lac, la numérisation du Journal de Genève (1826-1998, 520 000 pages) a été le premier projet en Suisse avec pour ambition la mise en ligne intégrale et gratuite d’un quotidien. Le Temps, détenteur des droits, la Bibliothèque nationale et la Bibliothèque de Genève ont uni leurs expertises et leurs collections pour aboutir à la publication de ce contenu en 2008.

L’Association pour la numérisation des journaux patrimoniaux genevois

Longtemps ce corpus a été la seule source numérique de ce type pour documenter Genève et sa région aux 19e et 20e siècles. La nécessité de compléter cette source mémorielle avec les trois autres journaux généralistes s’est rapidement imposée, mais il a fallu attendre la création en avril 2019 de l’ Association pour la numérisation des journaux patrimoniaux genevois (ANJG) pour pouvoir en envisager la réalisation.

Réunir autour d’une association ad hoc les partenaires clés que sont les éditeurs (détenteurs des droits d’exploitation des contenus), la Bibliothèque nationale et la Bibliothèque cantonale (détentrices des collections et de l’expertise) est un modèle de collaboration éprouvé pour porter des projets de numérisation et obtenir les financements nécessaires. Il a été appliqué avec succès par les cantons de Fribourg, du Valais, et de Berne.

Présidée par l’ancienne Conseillère d’État Martine Brunschwig Graf, l’ANJG a pour but premier de numériser les trois autres quotidiens généralistes qui couvrent Genève, dont deux paraissent toujours aujourd’hui: le Courrier de Genève (depuis le 5 janvier 1868), la Tribune de Genève (depuis le 1er février 1879), La Suisse (du 1er mai 1898 au 31 mars 1994). Les contenus sont mis en ligne de façon échelonnée sur le portail national e-newspaperarchives.ch et se poursuivront jusqu’en 2026. 

En février 2025, à l’occasion de la Semaine des médias à l'école en Suisse romande, 57 000 éditions et 642 000 pages sont accessibles en ligne, soit les trois titres depuis leurs origines jusqu’à 1920, ainsi qu’une large portion supplémentaire du 20e siècle pour la Tribune et le Courrier.

courrier de geneve
«Il semble que les journaux ne manquent pas à Genève, et cependant nous venons réclamer une petite place au grand air de notre publicité.» Premier numéro du Courrier de Genève, 5 janvier 1868

Ligne éditoriale, concurrence et sensibilités

A l’issue du projet, il sera donc possible de comparer la présentation et les commentaires sur un même fait ou événement dans les différents titres genevois, chacun lui donnant un éclairage selon sa ligne éditoriale et sa sensibilité.

Le Journal de Genève, diffuse les idées libérales. Il acquiert une notoriété suisse et internationale par son traitement de la politique, de l’économie et des finances, ainsi que de la vie intellectuelle. Le Courrier de Genève, porte la voix des catholiques, avant de devenir vers la fin du 20e siècle un journal indépendant, humaniste et progressiste. La Tribune de Genève est fondée comme un journal du soir, libéral, centrant son intérêt sur la région et les faits divers. Philippe Amez-Droz, maître d’enseignement et de recherche au Médi@lab de l’Université de Genève et membre du comité de l’ANJG, relève que dans son numéro inaugural, la Tribune se donne pour mission de rectifier les informations parues dans la presse du matin, jouant ainsi un rôle de «fact checking».

Le dernier venu, La Suisse, est un journal du matin qui suit une ligne apolitique et se concentre sur l’information régionale et sportive. C’est le seul quotidien fournissant une édition dominicale à Genève. La concurrence avec la Tribune redouble au moment où cette dernière devient également un journal du matin.

Pour des médias professionnels

Depuis le début du siècle, Internet offre une concurrence de nature bien plus forte à la presse écrite que celle produite autrefois par l’émergence d’autres médias d’information comme la radio et la télévision. Le professeur Mark Eisenberg constate qu’en 2017, les sites d’information en ligne et les réseaux sociaux sont devenus les principaux canaux d’information et de formation de l’opinion publique. Cette offre médiatique complexe et surabondante remet en cause le travail journalistique. Le spécialiste pense néanmoins que la valeur de celui-ci est indéniable:

«Les médias professionnels sont là pour offrir une description objective. Ils présentent ce qui se passe dans la société d’un point de vue aussi indépendant que possible et classent les événements. […] Pour obtenir une information pondérée, il faudra encore passer à l’avenir par les médias conventionnels.»[3]

Par la numérisation, les partenaires de l’ANJG rendent hommage aux journaux qui ont produit une histoire commune, que chacun et chacune peuvent s’approprier. Puissent ces archives nous rendre également conscientes et conscients de ce travail que des hommes et des femmes convaincues poursuivent aujourd’hui.

[3] Mark Eisenegger et Jean-Luc Brülhart, «Internet est l’instance centrale de l’opinion publique», L’Environnement (3), 2018, p. 22‑24

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