Pour un monde meilleur: la géographie d’Élisée Reclus

«Nous reposons sur le sol; mais c’est de l’air et dans l’air que nous vivons, hommes, animaux et plantes.»
Élisée Reclus, Libre nature, Genève, éditions Héros-Limite, 2022

Pour un monde meilleur: la géographie d’Élisée Reclus

Reclus
«Hauteurs de la Russie», épreuve annotée de la main d’Élisée Reclus avec le tampon «Institut cartographique Ch. Perron Genève Collection Élisée Reclus» carte réalisée pour la Nouvelle géographie universelle Tome V. L’Europe scandinave et russe, Paris, Hachette, 1880 Crédit: Bibliothèque de Genève, cote FA 1006/5

Forte d’un appel au respect de la planète et à une société égalitaire, l’œuvre d’Élisée Reclus, l’un des plus célèbres géographes du XIXe siècle, connaît depuis une dizaine d’année un regain d’intérêt notamment à Genève. Au regard de livres récents privilégiant le décloisonnement des sciences, on redécouvre les travaux du géographe quelques peu tombés dans l’oubli ou éclipsés par son militantisme anarchiste. Ceux-ci sont appelés à être aussi une source d’inspiration sociale et artistique que favorise son approche sensible de la connaissance de l’univers et une écriture vivante faisant la part belle à l’émotion esthétique.

Exil en Suisse et rédaction de la Nouvelle géographie universelle 

Élisée Reclus est exilé en Suisse jusqu’en 1890, d’abord au Tessin, puis à Vevey et dans ses environs pour avoir participé à la Commune de Paris en 1871. Durant cette période, il travaille à la Nouvelle géographie universelle, une encyclopédie monumentale publiée en dix-neuf tomes à Paris, aux éditions Hachette, de 1876 à 1894. La majorité des cartes est due au peintre genevois Charles Perron rencontré dans les milieux anarchistes helvétiques. 

La Bibliothèque de Genève conserve la collection de cartes d’études qui a servi à la réalisation de La Nouvelle géographie universelle. Une exposition virtuelle intitulée Représenter le monde, d’après Perron et Reclus. Le musée cartographique de Genève (1907-1929)  retrace l’histoire de cette «mappothèque».

Reclus
Élisée Reclus (1830-1905) vers 1880 photographie de Félix Nadar, épreuve photographique collée sur carton Crédit: Bibliothèque de Genève icon m 1937 218
«Hauteurs de la Russie», épreuve annotée de la main d’Élisée Reclus avec le tampon «Institut cartographique Charles Perron Genève Collection Élisée Reclus» détail, carte réalisée pour la Nouvelle géographie universelle. Tome V, l’Europe scandinave et russe, Paris, Hachette, 1880 Crédit: Bibliothèque de Genève, cote FA 1006/5

Les dimensions du monde. Élisée Reclus ou l’intuition cartographique

Dans ce livre issu d’une recherche du Fonds national suisse et publié dans la foulée du centenaire de la mort d’Élisée Reclus, Alexandre Chollier, géographe et écrivain, nous fait découvrir d’une plume alerte «L’atelier du géographe» et retrace notamment le projet éditorial de La Nouvelle géographie universelle. Face au constat des limites bidimensionnelles de la cartographie, Élisée Reclus se tourne vers les reliefs et les globes jusqu’à prôner une nouvelle discipline, la sphérologie.

L’œuvre cartographique d’Élisee Reclus a été aussi l’une des sources d’inspiration d’une création théâtrale d’Alexandre Chollier, de Jean-Louis Johannides et de Laurent Valdès. Dans une mise en scène à la fois didactique et poétique, le public a été invité à questionner les conventions géographiques et à parcourir, muni d’une carte blanche, le plateau en guise de territoire pour devenir acteur de la représentation du monde et créateur d’une communauté éphémère.

Alexandre Chollier Les dimensions du monde Élisée Reclus ou l’intuition cartographique, Genève : La Bibliothèque de Genève ; [Paris] : Les Éditions des Cendres, 2016
Cercle, Cheminer à la surface d’un globe. D’après Élisée Reclus, John Berger et Kenneth White, création de Alexandre Chollier, Jean-Louis Johannides et Laurent Valdès. Théâtre du Loup 7-18 décembre 2016, graphisme: AMI, sérigraphie, 2016

«Pour que s’inventent d’autres chemins»

Dans Les Histoires d'Élisée Reclus. Divulgation scientifique et émancipation (2024), Benoît Bodlet, enseignant de littérature et philosophie, s’interroge sur la réception politique, littéraire et pédagogique de l’œuvre d’Élisée Reclus au regard de deux livres à destination d’un jeune lectorat, Histoire d’un ruisseau (1869) et Histoire d’une montagne (1880). Ces textes témoignent du genre de la divulgation scientifique alors en vogue et relèvent, sous l’effet de l’abandon des idées républicaines pour l’anarchisme, de la volonté d’Élisée Reclus d’élaborer une géographie destinée au plus grand nombre.

Les 101 mots (2024), ouvrage collectif coordonné par Pauline Couteau, Nicolas Eprendre, Federico Ferretti et Philippe Pelletier, questionne quant à lui la pensée foisonnante du géographe anarchiste. On apprend ainsi qu’Élisée Reclus, grand voyageur dès sa jeunesse, s’est montré clairement opposé à l’esclavage et au colonialisme ainsi qu’à la vision du progrès de son époque fondée sur une hiérarchie des peuples («Mésologie»). «À la manière d’Élisée Reclus, rejoint par un réseau de cinquante auteurs et illustrateurs enthousiastes», le livre propose d’«explorer des pistes, tisser des liens, ourdir des rencontres, pour que s’inventent aussi d’autres chemins.»

Benoît Bodlet Les Histoires d'Élisée Reclus Divulgation scientifique et émancipation, Lyon: Presses universitaires de Lyon, 2024
Élisée Reclus Les 101 mots ouvrage coordonnée par Pauline Couteau, Nicolas Eprendre, Federico Ferretti et Philippe Pelletier, Dijon : Les Presses du réel, 2024

Dans L’Homme et la Terre (1905-1908), ouvrage publié à titre posthume, Élisée Reclus présente la somme de ses idées. Le géographe, une fois encore très attentif aux images, a su convaincre l’artiste tchèque František Kupka à Paris d’en être l’illustrateur. Le frontispice du premier tome incite à la contemplation de la terre à l’instar de l’individu assis, de dos, entouré de deux piliers, la géographie et l’histoire. Ces deux disciplines sont indispensables selon Élisée Reclus à une connaissance du monde rendant possible une humanité reliée à la nature et œuvrant à la préservation du vivant.

Élisée Reclus L’Homme et la Terre: frontispice gravé par František Kupka, Paris, Librairie universelle 1905

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