Les frères Bisson, photographes de montagne

«Grand Tour», l’exposition temporaire de la Bibliothèque de Genève présentée du 30/09/24 au 25/01/25 et également visible en ligne, met en avant une série de photographies de montagne.

Les frères Bisson, photographes de montagne

Ascension de M. Bisson au Mont-Blanc
Eugène Cicéri (1782-1868), peintre, illustrateur et graveur Ascension de M. M. Bisson au Mont-Blanc d’après leur photographie Date d’édition 1860 Crédit: Bibliothèque de Genève, inv. BGE Centre d’iconogaphie 37g a2 02 autre version 37g a2 04

La partie de l’exposition consacrée à Chamonix est introduite par une gravure reproduisant un panorama du Mont-Blanc d’après une photographie réalisée au sommet du Buet par M. Bisson Jeune (1826-1900). Le panorama provient du guide illustré, «Voyage en Suisse et à Chamonix» d’Adolphe Joanne, édité à Paris en 1866. La photographie originale qui a servi de modèle à la gravure date, elle, de 1861. Elle arbore les dimensions généreuses, caractéristique qui a fait la réputation des frères Bisson avec des tirages de très grands formats. Un tirage original partiel est conservé au Getty.

Panorama du Mont-Blanc
Panorama du Mont-Blanc dessiné par Karl Girardet et gravé par M. Piaud d’après une photographie d’Auguste Rosalie Bisson, reproduit dans le guide d’Adolphe Joanne, «Voyage en Suisse et à Chamonix» Hachette 1866 Crédit: Bibliothèque de Genève, BGE s 27288

Les frères Bisson, Louis Auguste Bisson dit l’ainé (1814-1876) et Auguste Rosalie, dit le jeune (1826-1900) font œuvre de pionniers. On leur doit la première photographie des Alpes depuis le sommet du Mont-Blanc. Ils tiennent une place importante dans l'histoire de la photographie en ouvrant la voie à d'autres photographes comme Adolphe Braun (1812-1877), Charles Soulier (1816-1886), ou encore le Genevois Auguste Garcin (1816-1895). Ce dernier est à l'origine d'une grande sélection d'images présentées dans l'exposition Grand Tour.

Pour se rendre compte aujourd’hui de ce que représentait la photographie de haute montagne entre 1855 et 1865, une lithographie éditée en 1860 d’Eugène Cicéri (1782-1868), peintre illustrateur et graveur français, est parlante à plus d'un titre. Conservée au Centre d'iconographie, elle est réalisée d'après une photographie des frères Bisson prise durant une de leurs ascensions au Mont-Blanc (un tirage original conservé à la BnF est daté de 1859 tandis qu’un autre conservé au J.P. Getty à Los Angeles est daté vers 1860). La lithographie représente l’expédition du 16 août 1859, correspondant à la première tentative d'ascension par les Bisson. En effet, trois expéditions successives, le 16 août 1859, le 3 septembre 1860 et le 26 juillet 1861, sont nécessaires pour atteindre le sommet du Mont-Blanc avec tout le matériel photographique.

L’angle choisi par les frères Bisson dans cette représentation de la montagne nous plonge au cœur même du massif dans une gigantesque mer de glace. Le point de vue contraste avec l'iconographie qui a cours avant le milieu du 18e siècle. Jusqu'alors, la montagne et les glaciers suscitent la crainte, voire l'épouvante. Puis le regard et l'intérêt porté à la montagne évoluent avec les expéditions et les recherches scientifiques qui s'intéressent à partir du 19e s. à la constitution des massifs montagneux ou à l'étude du mouvement des glaciers. Le point de vue, au sens propre, se modifie: on ne considère la montagne plus seulement vue d'en bas et de loin. La montagne devient progressivement plus familière et on ose s'y rendre.

La photographie des frères Bisson, dans sa volonté de magnifier le relief accidenté et la masse du glacier, reflète cette nouvelle perception du monde qui s’ouvre à des domaines qu'on avait jusqu’alors peu explorés, étudiés et difficilement contemplés.

Daniel Dollfus-Ausset (1797-1870), manufacturier, chimiste et glaciologue français qui étudie les phénomènes des glaciers depuis 1842, s'associe en 1855 avec le studio Bisson frères. La photographie documente ainsi les recherches scientifiques de ce dernier. Il est très probable que Dollfus-Ausset ait participé à l'ascension manquée du Mont-Blanc en 1859 et qu’il ait influencé le choix de cet angle de vue dans une approche très documentaire.

Le groupe de personnes que l’on voit escalader la glace entre le glacier des Bossons et le glacier du Taconnaz donne la mesure de l'importance et de la difficulté de l'expédition nécessaire pour réaliser des photographies en haute montagne. Un compte rendu de cette campagne paru dans l'IIustration Journal universel du 7 janvier 1860 cité dans l’ouvrage «Les Frères Bissons photographes; de flèche en cime 1840-1870» relate que 25 porteurs et guides font partie de l’expédition et qu’ils transportent, entre autres, une tente et un appareil volumineux pour prendre des vues panoramiques. On peut rappeler ici que le procédé photographique du collodion humide qui se développe depuis 1851 présente l'avantage de réduire les temps de pose à quelques secondes, mais exige en revanche de développer l'épreuve dans les minutes suivant la prise de vue, avant que l’émulsion ne s'assèche et empêche la transformation chimique. Ainsi, la préparation des négatifs doit être réalisée sur place, juste avant l'emploi. Dans les conditions climatiques rencontrées en haute montagne, même sous l'abri d'une tente, l'émulsion peut cristalliser sous l'effet du froid et le résultat demeure très aléatoire, sans comparaison avec un travail qui aurait été réalisé en atelier.

C’est lors de la troisième ascension en 1861 qu’Auguste Rosalie Bisson parvient au sommet du Mont-Blanc et ramène les premières prises de vue effectuées depuis le toit de l'Europe.

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