La grève des tramways empêche la tenue du cortège du tricentenaire de l’Escalade en 1902
La grève des tramways empêche la tenue du cortège du tricentenaire de l’Escalade en 1902
Pour le 300e anniversaire de l’événement, en 1902, les figurants costumés ne défilèrent cependant pas dans les rues froide de l’hiver genevois mais marchèrent en pleine chaleur devant un public portant des canotiers.
Dès la fin août 1902, la ville a en effet été le théâtre d’un grave conflit social. Les employés de la Compagnie générale des Tramways Electriques (CGTE), une société financée par des capitaux anglo-américains, se mettent en grève. L’entreprise a baissé leurs revenus (35 et 37 cts de l’heure au lieu des 40 et 42 cts convenus) et a introduit une «clause de renvoi abrupt» dans les contrats. Les revendications ouvrières sont sèchement refusées par le nouveau directeur entré en fonction au début du mois d’août 1902, l’ingénieur américain Henri Percy Bradford (1856-1931), lequel ne parle par ailleurs pas un mot de français. Le 30 août, il fait afficher à l’entrée des dépôts de la Jonction une liste de 44 employés licenciés. L’affrontement va durer un mois et demi.
Le mouvement rencontre à ses débuts l’adhésion d’une partie de la population et du monde politique. La médiation instaurée en septembre par le Conseil d’État n’aboutit que temporairement. À la suite de l’annonce de nouveaux licenciements, la grève est reconduite le 28 septembre. Tandis que la Fédération ouvrière tient réunion à la brasserie Handwerck, le Conseil d’État mobilise le 1er octobre l’armée, en soutien de la gendarmerie. Les troupes genevoises prennent position en ville, comme elles l’avaient déjà fait quatre ans plus tôt lors de la grève des ouvriers du bâtiment. Les manifestations sont interdites, les étrangers et les «anarchistes» sont ciblés par les forces de l’ordre, les heurts dans la ville se multiplient. Finalement la grève générale est décidée pour le 9 octobre, 15 000 employés et ouvriers y prendront part. Durant trois jours, un climat de forte tension règne à Genève. Les grévistes cessent finalement leur mouvement le 12 octobre.
Après que les soldats sont rentrés dans leur caserne ou chez eux, les autorités traduisent en justice ceux qu’elles identifient comme les meneurs, dont l’anarchiste Louis Bertoni; ce dernier est condamné à un an de prison, mais sera libéré après 132 jours pour calmer les esprits (le 31 décembre 1902, 150 personnes avaient chanté à minuit sous les fenêtres de la prison); les soldats réfractaires à leur mobilisation contre les grévistes sont également poursuivis, parmi lesquels on comptait le député socialiste Jean Sigg condamné à quatre mois de prison.
Les partis de gauche perdent les élections fédérales d’octobre 1902. Les tensions ne s’apaisent guère puisqu’on déplore un attentat commis sous le portique la cathédrale Saint-Pierre peu avant Noël, par un anarchiste qui sera reconnu comme irresponsable et interné. Quant à Bradford, à qui les actionnaires attribueront la mauvaise gestion du conflit, il donnera sa démission en mai 1903.
La grève des tramways a perturbé la préparation du grand cortège du tricentenaire de l’Escalade. Un comité s’était créé en début d’année pour donner aux célébrations un caractère patriotique et recueilli, symbole de l’unité des Genevois et Genevoises, et avait confié de longue date sa conception au peintre et illustrateur Louis Dunki. En vain ! Les organisateurs préfèrent y renoncer. Le cortège défilera finalement dans Genève le 1er juin 1903, jour, qui fut déclaré jour férié. Les images que l’on conserve de l’événement l’attestent : il faisait beau et chaud ce jour-là…
Pour en savoir plus:
Clément Bailat, «Le procès des réfractaires lors des grèves de septembre-octobre 1902 à Genève: un exemple de justice de classe?» dans: Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier, 26, 2010, en ligne sur e-periodica
Benjamin Chaix, «En 1902, la grève des tramelots secoue Genève», La Tribune de Genève, 15.10.2022, en ligne sur le site du journal
La nuit de l’Escalade, guide de visite accompagnant l’exposition de la Bibliothèque de Genève, 4 décembre 2023-6 janvier 2024 et exposition virtuelle.
Presse genevoise en ligne, sur les sites www.e-newspaperarchives.ch et www.letempsarchives.ch (rechercher « grève des tramways », août-novembre 1903).
Poster votre commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec