Hélène Smith et les surréalistes, un rendez-vous manqué?
Hélène Smith et les surréalistes, un rendez-vous manqué?
Dès la fin des années 1920, dans ses notes de travail comme dans ses publications, André Breton mentionne régulièrement Hélène Smith qu’il découvre grâce aux travaux de Théodore Flournoy. Il l’évoque par exemple dans son récit autobiographique Nadja ou dans Les Surréalistes et la peinture, publiés en 1928.
Suite à la parution en 1932 du livre de Waldemar Deonna sur la «peinture médiumnique» de Smith, Breton accède à une œuvre bien plus ample. Dans un article célèbre sur «Le message automatique» (Minotaure, 1933), il évoque la «prodigieuse Élise Müller». Alors qu’il proclame l’égalité «de tous les êtres humains devant le message subliminal», le poète surréaliste reproduit plusieurs œuvres graphiques de la Genevoise aux côtés, notamment, d’une carte postale du Palais idéal du facteur Cheval ou des Chimères de Gustave Moreau.
Pour certains critiques d’aujourd’hui, Breton aurait certes apprécié l’œuvre de Smith sans toutefois la considérer comme une artiste d’avant-garde, contribuant ainsi à sa marginalisation artistique. (Colin Rhodes, dans Patricia Allmer (ed.), Intersections. Women artists/surrealism/modernism, 2016, p. 15-31)
Une entorse, en quelque sorte, à l’égalitarisme et à l’anticonformisme revendiqué des surréalistes. Contre la tentation d’un tel jugement a posteriori, faut-il rappeler que le Dictionnaire abrégé du surréalisme (Breton et Eluard, 1938) la présentait comme un «célèbre médium, peintre et inventeur de langages», et que rares étaient les artistes de l’entre-deux-guerres qui reconnaissaient sa créativité?
Et qu’en pensait l’intéressée? Vers 1926-1927, Breton essaya d’entrer en contact avec Smith par l’entremise de la famille Flournoy. La lettre écrite en retour par Henry Flournoy, fils de Théodore, montre que la tentative fut un échec. (Lettre du 27 janvier 1927. Je remercie Carla Demierre de m’avoir signalé ce document.)
Face à ce rendez-vous manqué, rêvons la rencontre, ne serait-ce qu’épistolaire, entre le fondateur du surréalisme et la médium genevoise. Et demandons-nous si Élise Müller aurait adhéré au manifeste de la révolution surréaliste antibourgeoise, elle qui a maintes fois déclaré que sa peinture était dictée par une injonction externe – un esprit, Dieu –, et non le produit de son subconscient. Les surréalistes étaient fascinés par Hélène Smith, mais l’inverse aurait-il été également vrai?
Références:
Patricia Almer (ed.), Women artists/surrealism/modernism, Manchester, 2016.
André Breton, «Le Message automatique», Minotaure, n°3-4, 1933, p. 55-65.
Waldemar Deonna, De la planète Mars en Terre sainte. Art et subconscient. Un médium peintre : Hélène Smith, Paris, 1932.
Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Etude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Genève, 1900; idem, «Nouvelles observations sur un cas de somnambulisme avec glossolalie», Archives de psychologie, 1901.
Penelope Rosemont, Surrealist women: an international anthology, Londres, 1998.
Jusqu’au 25 novembre 2023 nous vous invitons à découvrir, au premier étage de la Bibliothèque, notre nouvelle exposition consacrée aux œuvres d’Élise Müller/Hélène Smith, une médium artiste genevoise. Retrouvez l’ensemble des articles sur Hélène Smith / Elise Müller en suivant ce lien.
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